Quatre Litres 12 au bord de la tête

La pièce
La Compagnie 4 Litres 12

" Nous tournons en dérision nos corps, nos voix et notre univers fantasmatique ; nous nous parodions nous-mêmes et, affrontant ce qui nous touche le plus, nous y découvrons un imaginaire burlesque et absurde. Devant la folie, le rire est souvent la seule manière de ne pas être victime du vertige. L'humour est un garde-fou plus ou moins solide selon les jours. En tout cas, assez fragile. "

La pièce

Des tables. Des chaises. Des valises. Des guindes. Des tissus. Des poupées. Du noir et du blanc. La vie qui tourne en rond. Et un cercueil. Et des personnages fantastiques, dérisoires, des personnages de contes - ceux qui vivent cachés dans la tête, tout au fond. Ca tourne, ça court, ça bouge, ça parle, ça mange, ça meurt et ça dévore. Un narrateur tombé au fond de sa tête.

Un narrateur et ses créatures. Et la peur de celui qui rêve. La peur, et comment s'en débarrasser : comment rire de sa propre peur ?

Il était une fois deux femmes et deux hommes ou plutôt deux femmes et un homme comme vestiges d'une humanité inachevée, avec un autre à la recherche de son imaginaire ou plutôt un homme qui voudrait raconter une histoire, et qui ne saurait plus faire la différence entre rêve et réalité ou plutôt un explorateur de l'imaginaire aux prises avec ce qui vit caché dans le fond de sa cervelle ou plutôt l'invasion d'une tête d'adulte par tous les contes de l'enfance ou plutôt le rêve d'un homme ridicule ou plutôt l'épouvantable histoire du roi et des deux princesses dans la tête de l'autre
ou plutôt la visite de l'intérieur d'une cervelle humaine
ou plutôt la présence de la monstruosité
ou plutôt comme entre automate ou monstre il faut être inhumain car l'époque est inhumaine
ou plutôt comme la chair vivante est habitée par la pensée
ou plutôt comme le mugissement du chaos intérieur pourrait s'entendre si on y prêtait attention
ou plutôt comme on est perdu entre le réel et l'imaginaire quand la vie n'est pas ce qu'on avait rêvé
ou plus tôt l'on est de fous plus tôt l'on rit.

La Compagnie 4 Litres 12

Fruit des amours incestueuses de Kantor et des Marx Brothers, 4 Litres 12 est porté sur les planches baptismales en 1972 à Nancy par Michel Massé. La troupe fréquente d'abord les auteurs polonais (Witkiewicz, Gombrowicz), avant de se tourner résolument vers un théâtre où la parole naît physiquement des improvisations. En passant par 4 Litres 12 in concerto (1978) entièrement en grommelots, jusqu'aux Soeures de Sardanapale en 1994, 4 Litres 12, en 10 spectacles tonitruants, fourrage à l'arme blanche dans le marécage de nos fantasmes et de nos interdits. Théâtre charnel, iconoclaste où le rire agit comme un électrochoc sur le public, les opus de 4 Litres 12 se présentent comme autant de variations obsédantes sur les vertiges du langage, du corps, du vestiaire social, du pouvoir, de la violence...

En marge des institutions théâtrales (mais la marge n'est-elle pas le lieu de toutes les rectifications ?), M. Massé le " déméningeur " (Enzo Cormann) construit sans concession des rituels féroces et jubilatoires sur lesquels planent les ombres d'Artaud et de Dada.

4 Litres 12 a obtenu le Grand prix de l'humour noir en 1993.

Gilles Losseroy
(Dictionnaire encyclopédique du Théâtre, Michel Corvin)