Tout public à partir de 8 ans.
Catalina a treize ans. Ce n’est plus une petite fille et pas encore une adolescente, un peu sale gosse en tout cas. Sans parents, elle travaille dans une usine d’articles de voyages avec le vieil Honorin, grincheux installé dans son train‐train quotidien. Catalina a deux visages qui ne cessent de se contredire : l’un pleure quand l’autre rit et vice‐versa. L’un parle le jour, l’autre la nuit. Mais Catalina, drôle de petite fille rebelle s'arrangera de son anomalie en écoutant ses deux visages. Elle tente de s’accommoder de sa différence et de trouver sa place dans la société.
La pièce de Fabrice Melquiot mélange avec bonheur lyrisme et humour, concret et fantastique. Le monde du réel et les rêves de Catalina se frottent, s’embrouillent et l’on ne résiste pas à tant de pudeur et de poésie, pas plus qu’à cette manière si cocasse de chambouler les idées reçues. Les questions graves sont posées légèrement, les princes pas charmants sont aussi séduisants et plus désopilants que les princes charmants. In fine, c’est l’auteur lui‐même qui devra répondre aux interrogations de Catalina. À travers leurs frictions, les personnages nous disent que les couleurs de la vie et leur intensité dépendent de notre seule manière de la peindre.
Comment et à quelle occasion avez‐vous rencontré Fabrice Melquiot ?
« J’ai découvert Fabrice Melquiot avec le tapuscrit de sa pièce Le Diable en partage qui parle de la guerre de Yougoslavie et comment cette guerre civile est vécue au sein d’une famille. J’en ai tout de suite aimé l’écriture d’un lyrisme empreint d’humour, il y avait là un auteur qui possède une langue et charrie des univers. J’ai tout de suite eu envie de monter la pièce. De projets abandonnés en projets remis puis concrétisés, j’ai lu tout ce que Fabrice a écrit. »
Qu’est‐ce qui vous a incité à lui commander une pièce pour les enfants ?
« Ce projet est pour moi l’occasion de revenir au théâtre pour le jeune public. Une envie qui revient régulièrement depuis qu’en 1999 j’ai mis en scène Le Pont de pierres et la peau d’images de Daniel Danis. Ce que j’aime chez Melquiot, c’est qu’il ne prend pas les enfants pour des imbéciles. Il s’adresse à eux sans édulcorer sa langue. Quel que soit le thème qu’il aborde, ses textes ouvrent toujours sur l’imaginaire. Je souhaitais monter un texte de lui pour les enfants, de préférence inédit. Ce qui était très ambitieux compte tenu de sa notoriété. Devant ma déception de ne pouvoir en trouver dans ce qu’il avait déjà écrit, c’est lui qui a décidé de m’en écrire un. Et puisqu’il écrivait pour moi, j’en ai profité pour lui dire ce que je souhaitais par rapport à son écriture, que je préférais ses pièces qui mélangent gravité et humour et dans lesquelles il est question des choses de la vie. Un peu plus tard je précisais encore ma commande en lui demandant de bien vouloir écrire pour deux comédiens et une comédienne. Voilà comment est née Catalina, petite fille aux deux visages, dont l’un sourit quand l’autre pleure. »
Mais qui est Catalina ?
« À première vue, Catalina est une sale gosse à qui on a envie de donner une bonne fessée pour qu’elle se calme. Pourtant, avec son petit côté Zazie, c’est une rebelle qui pose une question grave : « Comment prendre sa place dans la société quand on se sent différent ? » Pour moi, en effet, il s’agit bien davantage de différence que de handicap. Ce deuxième visage, qui fait toujours le contraire de l’autre, n’existe peut‐être que dans sa tête. Il est l’expression d’un mal être qui la rend inapte à la sociabilité. À côté d’elle, Honorin est le versant opposé, celui d’adultes engloutis dans une grisaille que déclinent métro, boulot, dodo et qui s’accroche à ses acquis. Leur rencontre est la confrontation entre une petite fille insatisfaite du monde dans lequel elle vit et un homme convaincu d’être bien où il est parce qu’il a fini par se faire une raison. À travers leur friction, les personnages nous disent que les couleurs de la vie et leur intensité dépendent de notre seule manière de la peindre. Ce qui me passionne dans cette pièce, outre l’épaisseur des personnages, c’est qu’elle est à la fois concrète et fantastique. Se frottent et s’embrouillent sans cesse le monde du réel avec l’usine et celui des rêves de Catalina. Ceux de ses moments de sommeil pendant lesquels son autre visage, celui de ses pensées intimes, prennent le dessus. C’est là qu’apparaissent ses parents et l’énigmatique et désopilant Prince pas charmant qui vient faire un extra parce que les vrais Princes charmants sont pris pour des défilés de mode. Il y a là une manière cocasse de casser les clichés, de chambouler les idées reçues qui me plaît. »
Dans votre travail de metteur en scène, faites‐vous une différence entre le théâtre jeune public et le théâtre adulte ?
« Étant peu soucieux de frontière et de catégorie, je ne monte pas Catalina en me posant la question du jeune public, cette question‐là est une mauvaise question. La pièce est bonne ou pas, c’est la seule question qui compte. Après on fait, ou pas, un bon travail dessus. Ce qui compte c’est l’envie, le coup de foudre, les images que fait surgir la pièce et Catalina est de celles‐là. Je vais donc m’adresser à tout le monde en sachant bien évidemment que je vais m’arranger pour solliciter l’imagination des enfants par un artisanat ludique, par la force des couleurs qu’appelle la pièce et par tout un univers lumineux et sonore qui sont de bons carburants d’imaginaire. »
Pourquoi tenez‐vous à vous adresser au jeune public ? Pour forger le public de demain ?
« Pour deux raisons. Comme je l’ai dit à Fabrice, j’aime raconter des histoires qui ont plusieurs niveaux de lecture. J’aime les pièces dont les auteurs campent des personnages qui nous touchent, qui posent de bonnes questions sans donner de réponses toutes faites, qui éveillent la vigilance et disent quelque chose du monde. Si déjà je peux semer cette petite graine‐là, j’en serais très heureux. En outre, il est vrai que mes diverses résidences d’artiste m’ont donné le goût d’un rapport à la population et au territoire. J’aime que le théâtre soit un moyen de nouer des liens et un appel à la curiosité. Si les enfants d’aujourd’hui deviennent des spectateurs de demain tant mieux, mais mon premier objectif est de les rendre curieux de la vie. »
A propos d’une pièce pour les enfants… ?
« Ce qui est important c’est que les enfants comme les grands puissent avoir leur propre niveau de lecture… L’engagement pour moi est avant tout poétique. Aller revisiter le territoire si contrasté de l’enfance, retrouver la place de l’enfant en soi, telle pourrait être ma démarche d’écrivain. Toute pièce est un voyage intérieur, ce qui compte ce sont les sensations, les personnages, quels que soient les sujets abordés, il ne faut surtout pas sous‐estimer la capacité de réception des enfants. »
Comment vous est venue l’idée de cette pièce ?
« Dans une chambre où parfois je dors, une nuit, j’ai fait ce rêve : une petite fille au visage ouvert, de ce grand ouvert dont parlait Rilke qui pouvait être le début de toute expérience, une petite fille me tendait les bras en souriant – très écartés, ses doigts, et les pommettes trop rouges, de ces poupées mal faites. Tandis que je m’approchais pour la serrer contre moi et répondre à son sourire, je devenais cet autre (en rêve, souvent je me multiplie), qui la regardait de dos. J’avais donc l’enfant contre la poitrine et j’étais face à moi, cet autre‐là, qui regardait de dos la petite créature et à l’endroit de sa chevelure, poussé du crâne, cet autre‐là voyait d’elle un nouveau visage, en larmes, effroyable.
Je me réveillai en sursaut.
Notes rapides dans un carnet, pleine nuit. Cette fillette‐là, cet autre moi, notre séparation (me multipliant en rêve, j’aboutis au vivant à la division de moi‐même en d’autres plusieurs – chose somme toute banale).
Souvenir d’une amie chilienne qui porte son prénom comme un lapsus : Catalina. Manie d’enfant de fouiller dans les pages roses du Larousse, à l’endroit des locutions latines, souvenir de ça : in fine. Palabres au PMU du coin, ça fume pas mal de bon matin, ça vante tel ou tel bourrin, je prends mon café là, quand la nuit je dors dans cette chambre‐là, aux murs verts et nus. Un matin, un ami me parle de Corinne du Lombard, un cheval sur lequel il a parié un pécule. Les types qui viennent là ont tous une tête à s’être esquintés longtemps sur des machines, des moteurs, des fois sur rien ; juste esquintés. Ils sont d’une politesse, d’une élégance pour certains. Parfois d’une grossièreté. Toujours à hésiter entre questions d’honneur et bras d’honneur. C’est pour eux qu’il s’appelle Honorin, le personnage.
Le Prince Pas Charmant, c’est parce que c’est marre des Princes Charmants.
Je garde toujours des avions les nécessaires de toilette, parce que ce sont des cadeaux. Je les garde et chaque fois qu’ils ressortent de mon incapacité à refuser, j’en redécouvre la laideur et la tristesse.
Souvent, ça me donne envie d’écrire ; tenter vainement de relever tout ça ; alors qu’aucun poème n’a jamais influencé la ligne esthétique des nécessaires de toilette dans les avions de ligne.
Réunissant ces appels sensoriels et mes songeries, j’ai commencé à entendre et à voir ce que serait l’histoire de Catalina in fine.
J’ai écrit.
Pour la première fois dans mes textes, il y a ce personnage qui s’appelle Moi.
J’ai un mal fou à faire mourir les enfants, alors je suis entré là ; un prétexte de plus pour saisir l’impossible, on a beau savoir qu’on ne fera jamais que courir après, on veut l’approcher, l’impossible, alors.
Alors rien.
Finalement, j’ai écrit une autre pièce et continué de chercher, contre la maladie de vivre, la maladie de vouloir toujours être celui qu’on n’est pas, la maladie d’être plusieurs en soi et jamais d’accord, la maladie d’aimer et celle d’écrire.
Je cherche encore.
La réconciliation ! »
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