L'histoire du violoncelle en France, au XIXe siècle, s'écrit en trois chapitres : c'est d'abord la génération de Duport, Levasseur et Janson (héritière de l'école de Boccherini) qui imagine, dès la fin du XVIIIe siècle, une virtuosité renouvelée hissant le violoncelle au même rang que le violon. Une abondante littérature pédagogique fixe alors les prouesses du moment (facilitées par la généralisation de la « pique » et de l'archet « Tourte » ) et forme la génération de Baudiot et Platel à l'excellence. Ce sont enfin les fruits de cet enseignement – Franchomme, Servais ou encore Chevillard – qui diffusent internationalement un art français longtemps jugé comme référent mondial.
Au programme :
Jacques Offenbach : Duo en la mineur op. 53
Fernand de la Tombelle : Suite pour trois violoncelles
Max d’Ollone : Andante et Scherzo pour trois violoncelles
David Popper : Requiem op. 66 pour orchestre de violoncelles (arrangement de Werner Thomas-Mifune)
La Danse des Elfes (arrangement de François Salque)
Camille Saint-Saëns : Romance op. 36 (arrangement de Roland Pidoux)
Giuseppe Verdi : Air de Don Carlos (arrangement de Roland Pidoux)
Niccolò Paganini : Variations sur une seule corde sur un thème de Rossini (arrangement de François Salque)
Avec François Salque et Xavier Phillips : violoncelles
Orchestre de violoncelles : Paul Colomb, Lucien Debon, Jérémy Garbarg, Hermine Horiot, Michèle Pierre, Samy Rachid, Honorine Schaeffer
Jacques Offenbach : Duo en la mineur op. 53
Avant d’être le compositeur d’opérettes et d’opéras que l’on connaît, Offenbach fut un violoncelliste virtuose, qui se produisit avec Anton Rubinstein ou Franz Liszt. Entre 1839 et 1855, il composa plusieurs cycles d’oeuvres pédagogiques pour son instrument. Le plus important est celui du Cours méthodique de duos pour deux violoncelles, six suites portant les numéros d’opus 49 à 54, classées par ordre de difficulté, de « très facile » pour l’opus 49 à « très difficile » pour l’opus 54. Plusieurs duos, formés de deux ou trois mouvements, composent chacun de ces opus. Il serait inutilement fastidieux de les commenter en détail.
Ce sont des caractéristiques générales qui frappent, valables dans chacune des pièces : le flux mélodique intarissable et l’incessant renouvellement des figures employées (qui annoncent déjà le compositeur de mélodies à succès que deviendra Offenbach), mais aussi le caractère égalitaire de ces duos. Il ne s’agit pas en effet d’une partie aisée (celle de l’élève) accompagnée d’une partie plus difficile (celle du maître), mais bien de deux parties de même difficulté, dont les rôles alternent soigneusement, pour ne léser aucun des instrumentistes. L’équilibre et la qualité de leur dialogue fait de ces duos bien davantage que de simples « études » pédagogiques : ce sont de véritables pièces de musique de chambre, d’une étonnante richesse – mais le XIXe siècle a souvent montré que l’ambition pédagogique d’une oeuvre n’entravait pas nécessairement son intérêt musical.
Fernand de la Tombelle : Suite pour trois violoncelles
Publiée à Paris chez Sénart en 1921, la suite pour trois violoncelles de Fernand de la Tombelle est dédiée aux célèbres violoncellistes Ruyssen, père et fils. À l’expression affirmée du début de l’Allegro en fa majeur, qui s’ouvre sur un accord fortissimo suivi d’un unisson des trois instruments, succède un thème chantant à l’aigu du premier violoncelle, qui travaille le matériau mélodique initial par amplifications successives.
De forme ABA, l’Andantino en ré mineur fait songer à une berceuse. Sur un rythme ternaire, le premier violoncelle y déploie une mélodie d’une grande simplicité, pianissimo, accompagnée de pizzicati des deux autres instruments. Les trois instruments font entendre un second thème en imitation, qui donne lieu à un riche contrepoint en croches. Contrastant fortement avec le mouvement précédent, le Presto en la majeur entraîne les trois instruments dans une course folle, interrompue par un passage central fantomatique en do majeur. D’une expression toute retenue, le Lento est joué en sourdine par les trois instruments. Le finale s’ouvre par l’ascension irrésistible des trois instruments sur un motif de gamme énoncé à l’octave ; la seconde moitié du mouvement constitue un vaste crescendo à partir de la nuance pianissimo, doublé d’une accélération finale qui ménage une conclusion en apothéose pour chacun des trois interprètes.
Max d’Ollone : Andante et Scherzo pour trois violoncelles
Publié en 1933 à Paris chez l’éditeur Schneider, l’Andante et Scherzo pour trois violoncelles de Max d’Ollone est dédié à Paul Bazelaire (1886-1958), l’un des plus grands violoncellistes français de sa génération, professeur au Conservatoire de Paris entre 1918 et 1956. L’oeuvre est composée de deux mouvements aux caractères très contrastants. L’Andante développe un contrepoint continu d’une grande expressivité, coloré d’harmonies chromatiques et ponctué de nombreuses notes étrangères (appoggiatures et retards). Les instruments se répondent en imitation autour d’un même motif qui irrigue l’ensemble du mouvement, sous des formes variées. Dans cet andante, on trouve un trait typique de l’écriture de d’Ollone : la superposition de différents éléments thématiques. Dans la section più lento, deux motifs issus du matériau thématique initial se font ainsi entendre simultanément aux premier et troisième violoncelles, alors que le deuxième violoncelle déroule un continuum de triolets de croches. Le même procédé d’écriture est utilisé dans la dernière section du mouvement, où l’accompagnement en triolet de croches passe au troisième violoncelle et se fait plus véhément. Le flux ininterrompu de doubles croches du Scherzo tranche avec le lyrisme marqué du premier mouvement. La texture d’ensemble change aussi immédiatement sous l’effet de l’accompagnement en pizzicato du troisième violoncelle. La vocation de mélodiste du compositeur d’opéras que fut d’Ollone se refait toutefois très vite jour à travers l’émergence d’un thème chantant d’une grande tendresse au premier violoncelle.
Pour amplifier le mince répertoire auquel ces oeuvres appartiennent, les violoncellistes des XXe et XXIe siècles – comme les altistes ou les harpistes – ont eu recours à l’arrangement. Des ouvrages initialement composés pour violoncelles et orchestre (le Requiem op. 66 pour trois violoncelles et orchestre de David Popper, 1891 ; la Romance op. 36 pour cor ou violoncelle avec orchestre ou piano de Saint-Saëns, 1874), pour violoncelle et piano (la virtuose Danse des Elfes de Popper, 1881), pour violon et orchestre (les extravagantes Variations sur une seule corde sur un thème de Rossini [la prière de Mosè in Egitto] de Paganini, 1819) ou pour voix et orchestre (un air du Don Carlos de Verdi créé à Paris en mars 1867) trouvent alors de nouvelles sonorités et permettent aux ensembles de violoncelles de s’offrir au public.
Pour la deuxième année consécutive, le Palazzetto Bru Zane prend ses quartiers d’été au Théâtre des Bouffes du Nord, pour une plongée dans la musique française du dix-neuvième siècle et du début du vingtième siècle, dont la diffusion est au cœur du projet du Centre vénitien.
En grande partie méconnu, ce répertoire constitue le terreau fertile et foisonnant sur lequel pourront éclore les chefs-d’œuvre impérissables de Franck, Debussy ou Ravel… Après le piano l’an passé, c’est sur la musique de chambre que le coup de projecteur est donné cette année. Grand spécialiste du sujet, c’est le Quatuor Mosaïques qui ouvrira le bal, avec le provençal Félicien David, qu’il a largement contribué à exhumer depuis quelques d’années, le français Louis-Emmanuel Jadin et le tchéco-parisien Anton Reicha. Le Trio Wanderer prendra la relève, avec un vaste panorama du trio français de Saint-Saëns (Trio op. 18, 1864) à Pierné (Trio, 1922), en passant par Ravel (Trio, 1914… De même, le Quintette pour piano et vent du très franckiste Albéric Magnard répondra à celui, op. 16, du grand Beethoven lors du concert que donnera la fine fleur des vents français — Philippe Bernold (flûte), Olivier Doise (hautbois), Philippe Berrod (clarinette), Julien Hardy (basson) et Hervé Joulain (cor) —, avec Jean-Efflam Bavouzet au piano.
Ce festival est l’occasion idéale de revenir sur les prestigieuses écoles françaises (ou, plus justement, franco-belges) du violon et du violoncelle, écoles qui ont largement dominé leur époque, et qui, aujourd’hui encore, sont les plus largement enseignées.
Rappelons par exemple que c’est un violoncelliste belge, Auguste Adrien Servais, qui a introduit la pique dans les années 1830, et que c’est le virtuose française Auguste Franchomme qui en a popularisé l’usage. Aujourd’hui encore, la scène française du violoncelle compte dans ses rangs les meilleurs éléments, dont font indéniablement partie François Salque, Xavier Phillips — et nul doute qu’ils seront bientôt rejoints par la jeune Honorine Schaeffer… Quant à l’école franco-belge du violon, elle nous a laissé, à la suite de la fameuse Sonate de Franck, quelques pages d’anthologie, dont Nicolas Dautricourt et Dana Ciocarlie interprèteront un florilège. Un programme hautement « poétique » puisque la mode était alors aux Poèmes : ceux de Chausson, Canteloube ou Ysaÿe
En guise de bouquet final, le Palazzetto Bru Zane invite les solistes du Cercle de l’Harmonieet six chanteurs français de la jeune génération, pour une représentation exceptionnelle du Saphir — opéra comique composé par Félicien David en 1865, d’après la comédie Tout est bien qui finit bien de Shakespeare.
37 bis, bd de la Chapelle 75010 Paris