Note d’intention - Retour en Papoâsie
A propos de Mamie Ouate…
Etat du Lieu
Spectacle tout public à partir de 6 ans.
Lorsque le Théâtre du Jeu de Paume m'a demandé de reprendre la mise en scène de Mamie Ouate en Papoâsie, j'ai d'abord pensé à l'étrange épisode de ma vie qui devait conduire, voici près de douze années, à l'écriture de cette pièce. Je ne pensais pas alors, mais alors pas du tout, que j'écrirai un jour des textes à destination des enfants. Non, je travaillais à une trilogie théâtrale sur l'errance et le vaste monde, Chapitre 1 Le Bourrichon, ou, pour qui est né à Saint-André du Loing, l'impossibilité du voyage, le départ comme chant mais le sur-place comme refrain. Chapitre 2 Kiki l'indien, ou la grande odyssée d'un petit Ulysse de Saint-Julien des églantiers, revenu mourir là où il est né, et qu'aucune Pénélope n'attend à son retour, si ce n'est sa sœur aînée. Le chapitre 3 devait se conclure sur les beautés du voyage en chambre et de l'imaginaire géographique. Je voulais ce dernier volet ludique, mais ça ne venait pas, du tout, chaque ligne était plus noire que la précédente, et cette noirceur n'était pas celle de l'encre. Je commençais à me trouver complaisant avec moi-même, trop enclin à lécher mes plaies, je me suis alors décidé à jeter ce désespoir charlatan dans la corbeille et j'ai opté pour le conte.
Je suis alors allé retrouver ma sœur, la cadette, la princesse du royaume perdu de mon enfance, je suis allé la voir et je lui ai dit, écoute-moi, voilà j'ai sept ans et toi cinq, disons cela, et disons que c'est aujourd'hui soleil, nous fermons les yeux et nous voilà dans le pré, celui, tu sais, où nous allions toujours après l'école ou le jeudi, avec le ruisseau aux écrevisses, et ce pré c'est notre royaume retrouvé, donnons-lui pour nom la Papoâsie, et tu seras Lili Ouate, une entomologiste à la recherche d'un papillon unique au monde, le Virginia, et moi je serai ton serviteur, tu seras ma coloniale, et pour toi j'aurai le visage de ce nègre-banania qui nous faisait face chaque matin et nous souriait à l'heure du chocolat. C'est ainsi que nous avons construit la pièce, ensemble, et ensuite je l'ai écrite, et nous avons beaucoup ri, je crois, mais c'est si loin déjà. C'est à cela que je pensais, à ce pré, quand j'ai dit oui à ce retour de Mamie Ouate sur la scène, dix ans plus tard.
Joël Jouanneau
Haut de pageDernier volet de ce qui est pour moi une trilogie sur le voyage et l’utopie dans le monde contemporain, je voulais que Mamie Ouate soit une fin sereine et apaisée. Il m’a semblé que toutes les libertés qu’accorde la forme du conte pour enfants pouvaient déborder le pessimisme - engendré par la douleur et les violences de notre temps - auquel j’étais incessamment confronté dans les deux pièces précédentes.(…)
Mamie Ouate, lilliputienne blanche, matinée Tartine Mariol et vieille dame indigne est une entomologiste qui rêve de capturer “Virginia” l’énigmatique femelle Zalmoxis, un papillon dont les mâles se comptent par milliers. Sur l’île Blupblup, où elle a planté son laboratoire ambulant, elle est aidée par le seul habitant, ou le seul survivant, un géant noir du nom de Kadouma qui troque les services qu’il rend à Mamie Ouate contre du crabe et du foie gras.
A travers ces contraintes que sont le blanc et le noir, le grand et le petit, le Nord et le Sud nous avons voulu dire des choses pas forcément très gaies : que lorsqu’on se trouve dans la différence il faut savoir mentir pour survivre, faire face, qu’il faut savoir faire de sa différence une force, que s’il est globalement vrai que notre vie est écrite d’avance sociologiquement, il reste toujours une petite part de liberté qui peut faire tout basculer et nous donne la possibilité d’être les écrivains de notre vie.
Mettre ensemble Mamie Ouate et Kadouma c’est faire allusion à ce qui sépare mais aussi à ce qui unit. Parce qu’enfin on peut protéger comme des espèces en voie de disparition ou exclure le lilliputien et le géant, l’inuit et le mohican, le troglodyte et le sans-abri, il leur restera toujours le pouvoir de l’imaginaire.(…)
Au bout “du conte”, nos deux compères auront accompli un voyage initiatique et auront touché du doigt quelques mystères de la relativité et appris que deux et deux ne font pas toujours quatre, que le blanc n’est pas toujours blanc et que pour trouver le centre du monde il suffit parfois de suivre le bout de son nez.
Joël Jouanneau, 1990
Propos recueillis par Dominique Darzacq
Blupblup. C’est le nom de l’île, une île minuscule. C’est assez loin d’ici. Administrativement, l’île Blupblup dépend d’une île géante, la Papoâsie. Elle n’a plus qu’un habitant, Kadouma. Les autres, eh bien ils sont morts, ou ils sont partis, ou ils se sont effacés dans le paysage, c’est comme on voudra !
Comme tous les Blupblupiens, Kadouma est grand et noir de peau, il a l’âge que vous lui donnerez, il parle parfaitement notre langue, il ne roule pas les “r”, on ne sait pas pourquoi, c’est comme ça !
Depuis quelque temps, il n’est plus seul sur son île, Mamie Ouate est là. C’est une vieille dame blanche, une lilliputienne qui, sans même en référer à la Papoâsie, s’est installée chez Kadouma. Elle a planté là sa tente, le laboratoire ambulant d’une parfaite naturaliste et derrière la tente, on peut voir la gueule d’une jeep, et comment cette jeep a pu atterrir là, c’est vraiment sans importance !
Mamie Ouate a une obsession : capturer Virginia, une femelle papillon dont on ne connaît que des spécimens mâles. Depuis lurette, les entomologistes du monde entier recherchent Virginia, mais seule Mamie sait qu’elle est venue se réfugier là, sur l’île Blupblup.
Kadouma est devenu son bras droit, elle troque son aide contre du crabe et du foie gras, c’est sans doute qu’il aime ça !
Place de la liberté (Boulevard Foch) 57103 Thionville