« Je suis né le jour des Morts. Au-dessus d’un magasin d’articles funéraires dont la raison sociale À l’Immortel expliquerait mon aspect provisoire, invariablement provisoire »… Maurice Roche
Maurice Roche, disparu en 1997, était un ami très cher, depuis 1972 (l’année de mes vingt ans et de mes premiers concerts publics). J’ai mis en musique ses textes (mon premier opéra de chambre, Le Baigneur, que j’ai créé en 1982 avec Michel Hermon, est adapté d’un de ses livres, Opéra Bouffe), échangé avec lui beaucoup d’émotions, de pensées, de musiques. Il aimait mon piano, s’intéressait de très près à toute la nouvelle musique : il avait lui-même en effet suivi des études de composition au Conservatoire de Paris et commencé une carrière musicale (il a ainsi composé la musique de la création des Epiphanies de Pichette avec Gérard Philippe et Maria Casarès). La musique restera tout au long de sa vie une part essentielle de ses préoccupations, au point qu’elle est je crois constitutive de sa création littéraire. Il était également passionné de Monteverdi et de tous les prébaroques, ce qui a contribué également à nous rapprocher.
J’ai été très touché par son livre ultime, Un petit rien-du-tout tout neuf plié dans une feuille de persil publié chez Gallimard. Ce monologue de l’écrivain en fin de vie se remémorant l’enfant qu’il fut est sans doute son texte le plus accessible, le plus émotionnel. Il est à la fois drôle et touchant, profond et diabolique, comme l’était Maurice.
Je l’ai adapté pour la scène, sous forme d’un monologue accompagné en musique, comme un mélodrame moderne, un petit « opéra » récité accompagné par un piano : cette forme piano/voix, que j’ai déjà expérimentée avec un autre de ses textes (Portrait de l’Artiste, avec Caroline Gautier, donné à Genève et à Paris) est je crois bien adaptée à son univers. Il me semble en effet que le piano est inscrit perpétuellement en filigrane dans ses livres, et que le mélodrame, où la voix est constamment guidée par la musique, permet au spectateur de plonger dans l’intimité de son écriture.
L’enfance pour Roche est un lieu de vérité absolue : on a l’impression à l’entendre qu’il n’a jamais été aussi intelligent, perspicace, lucide sur la condition humaine, que quand il était enfant. Et cela est écrit avec une telle élégance que tout le monde peut se sentir touché par ce témoignage et se reconnaître dans cette vision caustique de notre destinée. Nous avons souvent eu le désir de porter ses textes en scène, lui disant, moi jouant le piano.
Ayant eu la fâcheuse idée de trépasser, il ne m’en voudra pas de prolonger sa voix par celle de la belle actrice Irina Dalle et de dédier cette performance à notre longue amitié.
Denis Levaillant
Se pencher sur son passé, au risque de tomber dans - retomber en enfance, quoi !
Sénescence = C’est naissance !
Maurice a-t-il été enfant ? A-t-il été adulte ? Soudain il s’est senti vieux - très vieux - (deux mille ans).
Un jour je suis né… ça commence bien ! Il ne manquait plus que ça !
Donc - sans doute par la raison que « l’homme est une création du désir, et non une création du besoin » - , je suis né le jour des Morts. Voilà une belle façon de commencer ( ?) par le souvenir ! Car je ne me souviens pas de ma naissance, je n’y avais pas prêté attention. C’est comme si cela n’avait jamais existé. Mais pourtant, il paraît que si.
Je dois m’en tenir à ce qui est inscrit sur le registre d’état civil, registre que je n’ai d’ailleurs jamais consulté. Je suis né, en effet, un deux novembre, à Clermont-Ferrand.
Au-dessus d’un magasin d’articles funéraires dont la raison sociale A l'Immortel expliquerait mon aspect provisoire, invariablement provisoire.
Maurice Roche
2 bis, avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris