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L'âge d'or du Boulevard du Crime
La fin du Boulevard du Crime
Le seul théâtre rescapé
Une pugnacité à toute épreuve
La salle est accessible aux personnes à mobilité réduite, merci de le préciser avant votre commande au 01 40 13 84 65 (pour vérification des disponibilités).
De nombreux bars et restaurants se trouvent à proximité.
Le retrait des places s'effectue 30 mn avant le début du spectacle.
Comment résumer l'histoire du Théâtre Dejazet sans parler du " Le Boulevard du Crime " ? Sans parler de la comédienne Virginie Dejazet qui a donné son nom à ce théâtre ? Sans parler de la " Vie Parisienne " au 19ème siècle ? Sans parler tout simplement de la vie - puisque le théâtre, c'est la vie... et vice versa ? Le théâtre Déjazet, ancien Jeu de Paume construit en 1770 par le Comte d'Artois (futur Charles X), a vu le jour en 1851 tout en conservant l'ancien " Carré du Jeu " si cher au frère de Louis XVI.
Sur ce Boulevard du Temple, appelé également à l'époque " Le Boulevard du Crime " , rendez-vous de la meilleure société qui se pressait à la promenade tous les soirs, lieu de plaisirs, de rires, d'amusements, d'étonnements, kermesse perpétuelle... ne chantait-on pas :
" La seule promenade qu'a du prix, la seule dont je suis épris, la seule où j m'en donne, où je ris, c'est l’ Boulevard du Temple à Paris. "
Près de 10 000 personnes se pressent chaque soir sur ce boulevard où pas moins de vingt théâtres, des baraques, des tréteaux, présentent Spectacles, Pantomimes, Acrobates, Marionnettes, et même des cabinets de physique et de curiosités, chiens et singes savants, bonimenteurs, bateleurs, charlatans... Cafés et cabarets restent ouverts jour et nuit.
Ce nom de " Boulevard du Crime " ne provient pas seulement de l'attentat perpétré (face au café Turc, devant le n° 50) par le Sieur Fieschi contre le Roi Louis-Philippe, le jour du 5ème anniversaire de la Révolution qui avait élevé celui-ci au trône - la machine infernale mise au point par le tireur Corse Fieschi, avait néanmoins provoqué la mort du Général Mortier et celle de 30 autres militaires... Mais surtout, ce nom n'est pas étranger au fait qu'en 1823, lorsque l'on pense à débaptiser le boulevard du Temple pour l'appeler le " Boulevard du Crime " , on lise à cette occasion dans l'Almanach des spectacles : " On a fait le recensement des crimes commis depuis 20 ans. Pour l'anecdote, en voici la liste : Tautin a été poignardé 16 302 fois, Marti a subi 11 000 empoisonnements, Fresnoy a été immolé de différentes façons... 27 000 fois, Mademoiselle Adèle Dupuis a été 75 000 fois innocente séduite, enlevée ou noyée, 6 400 accusations capitales ont éprouvé la vertu de Mlle Levesque, et Mlle Olivier, à peine entrée dans la carrière, a déjà bu 16 000 fois dans la coupe du crime et de la vengeance " .
En tout cas, sauf erreur, 151 702 crimes à partager entre six individus qui, cependant, jouissaient d'une excellente santé et de l'estime générale. Tous ces nombreux mélodrames terrifiants, drames ruisselants de sang, pleins de coups de couteaux, d'enfants volés, d'orphelins persécutés, chaque soir, ont fait la renommée de ce fameux boulevard devenu la plus grande promenade publique de France. Le Roi en a fait son lieu de parade, c'est l'endroit de Paris où la France de la Restauration, puis celle de Louis Philippe se regardent passer.
Depuis le début du XIX siècle, dans cet espace de 200 mètres de long, s'est en effet instaurée la permanence de la fête, une fête ininterrompue que rien, pas même une émeute ou une épidémie de choléra qui a fait à Paris plus de 18 000 morts, ne pourra suspendre plus d'un jour.
Tous les théâtres, baraques et tréteaux occupaient uniquement le côté Est du Boulevard du Temple (côté numéros pairs) ; côté Ouest, seul se trouvait l'ancien Jeu de Paume devenu depuis un établissement de bains très en vogue. Le " Chanteur Comique " Mayer, inaugura en 1851 la première salle de spectacle-concerts, sous le nom des " Folles Mayer " , qui furent le réel berceau de l'opérette. En 1854, elles furent appelées les " Folies concertantes " sous la direction du célèbre Hervé, puis, après la démission de ce dernier, les " Folies nouvelles " avec les débuts d'Offenbach à Paris - un triomphe - ceux de Léo Delibes, de Charles Lecoq, entre autres, avant de devenir, le 27 septembre 1859, le théâtre Dejazet, appelé d'abord les " Folies Dejazet " .
En effet, la célèbre comédienne Virginie Dejazet, déjà âgée, et voulant faire enfin jouer des pièces du jeune Victorien Sardou (dont elle s'était entichée) acquiert ce véritable bijou, authentique théâtre à l'italienne. Jusqu'en 1870, elle y jouera avec succès comédies, opérettes et vaudevilles et recréa sur cette scène la plupart de ses grands rôles. Elle en fera, d'ailleurs, des folies, la comédienne, pour ce théâtre, pour son théâtre : d'abord, pour obtenir par arrêté du 2 août 1859, la direction en faveur de son fils, Joseph Eugène Dejazet, avant de s'obliger à reprendre des tournées dans toute l'Europe pour faire face aux frais d'exploitation du théâtre.
En 1862, tous les théâtres du boulevard furent démolis. Le 15 juillet à minuit, la dernière heure du boulevard du Temple a sonné. Le " Boulevard du Crime " est supprimé, les théâtres dispersés... Ce fut un véritable deuil pour le Tout Paris ! On proteste, on pétitionne... rien n'y fait ! L'impitoyable Préfet Haussmann maintient sa décision, les théâtres ont annoncé leurs dernières représentations. Avant d'émigrer rue de Bondy, le théâtre des Folies Dramatiques présente Les adieux du boulevard du Temple, pièce fantastique en 3 actes et... 14 tableaux. Recevant d'importantes indemnités, en francs-or, leur permettant de se réinstaller et de faire de surcroît de très substantiels bénéfices, le théâtre de la Gaîté déménage ainsi aux Arts et Métiers, le théâtre Lyrique (futur théâtre du Châtelet) et le Cirque impérial (futur théâtre Sarah Bernard) place du Châtelet, celui des Délaissements comiques rue de Provence.
Le théâtre du petit Lazarini, les Funambules ainsi que tous les autres petits théâtres disparurent. Quant au théâtre Dejazet, il en réchappa... pour l'unique raison qu'il se trouvait... sur le mauvais trottoir (côté impair du boulevard), la démolition du boulevard décidée par le Baron Haussman ne s'appliquant, pour des raisons pratiques et de sous-sol, que sur le côté Est, à savoir, côté pair. Les faits étant par nature têtus... et l'histoire pleine de malice, Virginie Dejazet et ses enfants, qui, comme tous les autres propriétaires de théâtres, attendaient cette manne inespérée pour renflouer leur trésorerie et sortir des graves difficultés financières qui, déjà à l'époque, étaient le sort de tous les théâtres, furent déçus !
Oublié, cet unique théâtre devint 135 ans après, le seul rescapé de ce mythique Boulevard...
Dans les années 1870, Virginie Dejazet se désespérait à l'idée de voir un jour son nom disparaître du fronton de son théâtre ; après avoir, des mois durant, escaladé la montagne de sable et de cailloux provenant des immenses travaux de démolition du boulevard qui durèrent huit ans, elle répétait ainsi : " Aller au théâtre Dejazet dans de telles conditions, est-ce possible ? Non ! Mais le jour où je la verrai disparaître, ce pauvre nom de Dejazet, je me ferai l'effet d'un soldat qu'on dégrade en lui arrachant sa croix d'honneur, car le théâtre, c'est mon ruban rouge à moi. "
Aujourd'hui elle doit être fière, non seulement son nom est toujours lié à ce théâtre, mais il est le seul témoignage de cette fabuleuse époque où les gens se pressaient, envahissant dès 18 heures les guichets de tous les théâtres ; des centaines de spectateurs faisaient la queue devant les contrôles entre de longues barrières de bois, on se bousculait, on se battait, on pleurait... Il y a bien longtemps que nos théâtres ne subissent plus de tels assauts !
Le théâtre Dejazet a maintenant retrouvé son écrin et sa décoration du 19ème siècle. Fermé depuis 1939, transformé en cinéma, scène, coulisses, cintres, balcons ayant été détruits, il était destiné en 1976 à devenir un " magnifique Supermarché " . Las ... ! Une folle intervention empêcha une deuxième fois le théâtre Dejazet de disparaître totalement.
Ainsi, par la faute d'une intervention personnelle, le Boulevard du Temple a, été privé d'un superbe supermarché, voire d'un parking ; comme quoi personne n'est parfait, puisque la politique intelligente menée depuis plus d'un quart de siècle est surtout de transformer les théâtres, les lieux de spectacles et de divertissements en " parking supermarché " , " restauration rapide " , commerce de mode et bureaux, tels l'Alhambra (superbe parking), la Gaité Lyrique (vide et abandonnée après la faillite de la Planète Magique), les Folies Dramatiques (magnifique pompe à essence), l'ABC (restauration rapide), le Théâtre de l'Ambigu (devenu de superbes bureaux), les 3 magnifiques salles du Théâtre des arts (un somptueux grossiste de vêtements démodés), et tant d'autres, car la liste est longue et non exhaustive.
Plus de cent ans après la naissance de Virginie Dejazet, notre principale fierté est de démontrer qu'il suffit de le vouloir avec passion et pugnacité pour que la mémoire de notre patrimoine reste présente et, surtout, vivante. Le théâtre Dejazet est réhabilité depuis 1976 ; Coluche fait sa réouverture le 1er février 1977 ; depuis se sont succédés : Léo Ferré, Gréco, Moustaki, Jean Guidoni, Catherine Lara, Véronique Sanson, Anna Prucnal, Sylvie Joly, pour les chanteurs, ainsi que de très nombreuses pièces de grands auteurs, de nombreuses créations nous permettant de remporter 3 Molières en 3 ans.
Toutes les formes d'expression sont présentées : la danse, la musique, la comédie, la tragédie. Nous attachant à une programmation à part avec des personnalités fortes qui trouvent ainsi à s'exprimer, restant résolument à l'écart des modes, préférant cultiver un esprit singulier, rappelant ainsi la programmation faite par Role et sa dynastie qui, de 1887 à 1939, régna sur ce théâtre devenu en 1880 le troisième théâtre français, avec des pièces telles que Tire-au-Flan de Mouézy-Eon, Topaze, Les Dégourdis de la 116ème, Les Gaités de l'Escadron ... Comédies, comédies vaudevilles, comédies-bouffes, folies revues, opérettes et opéra-bouffes qui firent les beaux jours de nos grands-parents entre les deux guerres.
Aujourd'hui cette salle évoque irrésistiblement Les Enfants du Paradis, du regretté Marcel Carné, et pour cause, puisque les scènes d'intérieur ont été filmées au théâtre Dejazet. Désormais un plafond peint de 120 m2 retrace toute cette histoire avec des fresques peintes de Daumier, terrible portraitiste du début du siècle.
Il ne vous reste plus qu'à vous plonger dans l'atmosphère de l'époque et à retrouver les fantômes de Victorien Sardou, de Frédéric Lemaitre, de Debureau, d'Offenbach, de Lacenaire, et déjà, ceux de Léo Ferré et de Coluche, sans oublier, surtout... celui de Virginie Dejazet.
41, boulevard du temple 75003 Paris