Demi s’exprime avec d’autant plus de force qu’elle met sa formidable énergie au service de son propre répertoire, composé à quatre mains avec son complice, Fred Morisset.
Si cette enfant de l’Amérique noire fait figure de personnage à part dans un paysage musical souvent formaté et réducteur, elle doit cette originalité autant à sa personnalité entière qu’à son éclectisme salutaire, hérité d’un parcours pour le moins atypique.
Pour avoir grandi au cœur du ghetto de North Dallas dans les années soixante, Demetrius Evans est exposée très tôt aux musiques populaires qui font le quotidien de la communauté afro-américaine: le gospel qui lui permet de faire ses premières armes de chanteuse au sein de la chorale de l’église baptiste qu’elle fréquente.
La soul en pleine ébullition qui monopolise les ondes en cette période où la première minorité d’Amérique se bat aux côtés de Martin Luther King. Le blues, enfin, qu’elle révère à travers la figure mystérieuse d’un père trop absent, pianiste dans l’orchestre de Bobby Bland.
Faute de vivre avec ses parents, Demi est élevée par une grand-mère qui a longtemps été danseuse de chorus line avant d’être rattrapée par la vie de famille. Le samedi soir, Grandma écume les clubs du ghetto de Dallas et Demi croise la route de plusieurs stars du chitlin circuit, Johnnie Taylor en tête.
C’est néanmoins une apparition du très jeune Michael Jackson à la télévision qui va lui donner l’envie de chanter : "Je voulais faire quelque chose de différent des autres gamins du quartier. La plupart étaient extrêmement démunis et je voulais être celle qui les aiderait à s’en sortir. Pour moi, la scène était une façon de communiquer avec les autres, de montrer la voie à suivre."
En attendant d’inspirer ses semblables, Demi aide sa grand-mère en travaillant tous les soirs au Dallas Morning News depuis l’âge de 14 ans, jusqu’au jour où Grandma décide de suivre la vague migratoire qui conduit beaucoup d’Afro-Américains des états du sud-ouest vers la Californie.
À Los Angeles, ce n’est pas dans le milieu musical, mais dans celui de la mode que Demi se fait un nom Recrutée par une agence de mannequins, elle finance ses études de comédienne en prêtant sa silhouette aux principaux créateurs californiens.
Cette carrière lui permet de s’installer à New York au milieu des années 1980, et le hasard la met sur le chemin d’un organisateur de spectacles qui la lance sur le circuit des cabarets gays où ses imitations comiques de Grace Jones vont faire sa réputation.
De fil en aiguille, sa double casquette de mannequin et de chanteuse la conduit en Europe où elle partage son temps entre les clubs et les salons, portant les couleurs de Jean-Paul Gaultier ou de Christian Lacroix de Paris à Milan et Vienne.
Après l’Autriche, l’Allemagne devient le nouveau port d’attache d’une artiste prise en charge par Sven Väth, l’un des DJs les plus en vue de la scène d’outre-Rhin. Le succès local des singles aux fortes connotations pop publiés en cette fin des années 1990 la pousse à reprendre pied aux États-Unis où elle trouve rapidement sa place dans l’entourage de Stevie Wonder.
Ce dernier lui conseille alors de trouver sa voie en écrivant ses propres textes, un avis éclairé qui va changer le cours de sa vie : renonçant à l’univers de la haute couture, Demi opte définitivement pour une carrière d’auteur-compositeur-interprète et reprend le chemin de l’Europe.
À la veille de l’été 1995, un accident de voiture vient réduire à néant des années d’efforts. "Après avoir terminé de chanter un soir à Monaco, un Anglais m’a gentiment proposé de me déposer chez moi. Le fait qu’il avait une Ferrari Testarossa rouge ne m’a pas vraiment consolée quand je me suis retrouvée à l’hôpital avec de multiples fractures", se souvient-elle avec cette touche d’humour qui habite volontiers son répertoire.
Au terme d’une longue convalescence, Demi décide de faire étape à Paris sur le chemin des États-Unis. Sur les conseils de Suleiman Hakim, un ami membre du Luther Allison Blues Band, elle effectue un crochet par le Duc des Lombards et se trouve embarquée dans une collaboration fructueuse avec le batteur Paco Séry.
Pour Demi, c’est le début d’une aventure française qui se poursuit depuis le début des années 2000 au sein de la formation de Jean-Jacques Milteau.
"Avant de travailler avec Jean-Jacques, j’ai aussi été la chanteuse d’un bassiste américain installé en France, Joe Turner. Et si Joe m’a souvent donné le blues, JJ m’a appris les ficelles du métier, je lui dois énormément", reconnaît volontiers Demi.
L’harmoniciste le plus brillant de la planète blues actuelle ne s’est pas contenté d’accorder à Demi une place de choix dans sa formation sur les plus grandes scènes, de Vienne à Antibes en passant par le Théâtre des Champs Élysées : après lui avoir demandé de participer à l’aventure de son album Fragile, c’est lui qui l’a encouragée à lancer sa propre carrière, avec la complicité du label Iris Music.
La sortie de l’album Why Do You Run au printemps 2006 aura enfin donné l’occasion à Demi Evans de révéler son véritable visage : celui d’une créatrice sensible, généreuse, ouverte sur les problèmes du monde qu’elle évoque avec une franchise extrême et une poésie sans fard :
"Comme beaucoup d’entre nous, je m’inquiète de la direction dans laquelle va la planète, et je suis persuadée que c’est en exprimant cette inquiétude qu’on peut faire progresser les choses."
Cette déclaration pourrait sembler quelque peu idéaliste si la réaction du public ne venait confirmer les ambitions d’une artiste parfaitement inclassable. Sur scène comme sur disque, ses textes font mouche, magnifiquement servis par une voix magnifique et une détermination insatiable.
Des impressions fugaces, des mots ciselés et subtils, un regard tendre et lucide sur notre quotidien… le talent d’auteur de Demi, superbement souligné par des mélodies écrites avec Fred Morisset, ne laisse personne indifférent, et il ne fait guère de doute que le nom de Demi Evans ne tardera pas à devenir synonyme de succès d’ampleur.
Après bien des péripéties, Demi semble enfin sur le point d’atteindre l’objectif de son enfance dans le ghetto de Dallas : servir les autres en les touchant par la grâce de son talent.
Sebastian Danchin
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Théâtre Suresnes - Jean Vilar, Suresnes
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Théâtre Suresnes - Jean Vilar, Suresnes
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