« Si quand je suis dans les bois, les bois ne sont pas en moi, ai-je le droit d’être dans les bois ? » Thoreau
(H)and(s)est à la fois une installation et une pièce chorégraphique. Dans le flux piétonnier de métropoles, Clara Cornil a photographié des mains, partie du corps qui laisse apparaître des signes imperceptibles et quotidiens de ce qui se vit, de ce qui s’échange. L’installation propose de circuler dans ces images prises à New York, Hanoï, Kinshasa, Kyoto et Cuenca. Ensuite, le spectateur est invité sur le plateau.
Avec (H)and(s), elle poursuit son intérêt chorégraphique pour le corps-matière; le toucher a été ici le champ d’investigations.
"Mouvement de curiosité et d’abandon dans ce geste vers le dehors qui construit tout le dedans. Une présence autre se construit, d’écoute et de résonances, qui laisse place. Place à ce qui peut advenir, dans l’ouverture d’un espace commun entre corps, sons et public. » Clara Cornil
Imaginons que pour une fois, entrer en scène ne soit pas le seul apanage de l’interprète, que peut-être l’espace, celui du plateau puisse se partager. Trouver une manière de le fréquenter naturellement pour tous, c’est bien l’idée de Clara Cornil qui réunit spectateurs et artistes en un même lieu, mais sans pour autant chercher à confondre où distribuer les rôles autrement. Chacun ici garde son identité, son statut.
Ainsi est-il possible de parcourir (H)and(s), projet qui se présente sous la forme d’un diptyque. Le premier volet expose une série de photographies, essentiellement les mains de personnes anonymes croisées en différents points de la planète, Vietnam, USA, Congo, Japon, Espagne. [...]Le public, convié à partager une expérience, est invité à s’asseoir juste en lisière de la scénographie, à proximité des danseurs et des musiciens tandis qu’une poignée d’autres spectateurs sont installés presque en son centre.
Oeuvrer avec l’étonnement, la surprise que procurent le décloisonnement des gestes et des situations est une constante dans les pièces de Clara Cornil. Que se passe-t-il alors, à partir de cette démarche à la fois intuitive et poétique, structurée par ses dispositifs et processus de travail ? Le quotidien d’abord, dans sa plus simple expression, y devient un véritable gisement de potentiels au service de la création. [...]
Dans (H)and(s), cela commence avec le titre, à interpréter dans le jeu de ses lettres, du langage à la langue, mais aussi dans un rapport au corps proche, autre réservoir de mondes suggestifs et axes de travail.
Avec ses rouleaux accrochés dans les cintres qui découpent l’espace par le haut, l’espace évoque une clairière abritant arbres, bosquets, peut-être même une source. Dans ce lieu néanmoins abstrait, chacun est placé sur un même plan de visibilité et d’écoute. Des êtres humains en condition pour se rencontrer : ensemble, ici et maintenant, simplement « en présence ». Sans excitation ni précipitation, Clara Cornil travaille cette faculté comme s’il y avait juste à renouer avec un ressenti, un savoir commun souvent laissé à l’abandon, une façon d’être là, à l’écoute. La qualité ainsi obtenue transforme l’endroit partagé. Il devient à son tour producteur de fiction. Car l’architecture du lieu, formée d’archipels sensibles, peu à peu affecte de manière directe l’expérience des corps, tout comme elle affecte interprètes et public dans leur réception des évènements.
Les sensations éprouvées à travers les différents langages artistiques entrelacés - écriture, musique, mouvement - composent et recomposent l’espace modifiant la perception. La bande sonore devient l’alliée des jeux de lumières pour matérialiser une hypothèse, le phénomène tactile et son rapport à l’environnement. Comment opère-t-il à partir des objets, des instruments, entre les corps, les sujets ? L’espace ainsi scénarisé incite le spectateur immobile à se projeter, à s’inscrire dans la proposition comme dans une intrigue en trouvant son propre chemin entre fiction et réalité. [...]
Richesse et puissance d’un mouvement où le paysage devient un tissu de rencontres. L’étoffe des songes dans lequel chaque corps se glisse pour jouer, renouer avec le sens tactile des choses. La connexion des différents textes, sons, musiques, silences, avec celle des corps et des mouvements, la qualité de l’interprétation des parcours dansés, l’impact des lumières, tantôt plus sombres, intimistes ou claires, révélées, créent des lignes de résonance. Echos, ondes qui se propagent dans l’espace.
Ainsi se met en place une relation de proximité et de contact sensoriel avec le monde. Mais voyager et explorer n’est-ce pas aussi accéder à certains aspects de la vie en mouvement et aux mystères de la transformation ? (H)and(s) donne vie aux forces discrètes et créatrices qui ont fait naître le paysage et le modèlent dans une dynamique apaisante.
Irène Filiberti
1 rue Charles Garnier 93400 Saint-Ouen