À qui mieux mieux

• Retour en enfance initiatique

On ne sait pas qui est cet être sans âge qui se tient devant nous. Derrière lui, un énorme sac qui semble tombé du ciel. Que contient cette enveloppe ? Et que veut nous dire ce personnage ? Sait-il seulement parler ? Arrive la rencontre avec une entité bizarre, fibreuse et douce, vaste comme un nuage répandu sur le sol. Avec elle, vient la parole. Ou plutôt, les balbutiements et les onomatopées, le babillage et le plaisir de malaxer les sonorités, puis les mots.

Le comédien Bruno Amnar, seul au plateau, manipule la laine brute comme le verbe, traversé par la curiosité et l’émerveillement. Le marionnettiste et metteur en scène Renaud Herbin signe lui-même le texte dans un style qui se rapproche de la poésie sonore, un courant littéraire qui rend le poème indissociable de l’énonciation vivante, rythmique. À qui mieux mieuxévoque une aventure commune à tous et oubliée : l’acquisition du langage et, en même temps, la prise de conscience de notre présence au monde.

• Note d'intention

Dès notre naissance, nous possédons une vie psychique active. L’arrachement à notre mère constitue une épreuve. De l’obscurité et du silence, nous sommes confrontés subitement à l’éblouissante cacophonie du monde. D’un milieu tiède et protégé, nous devons survivre à la rudesse et la froideur du dehors. Il nous faut bien du courage et des efforts, après une telle expérience, pour trouver notre place. Nous avançons dans notre vie, prêts à surmonter toutes les difficultés et défis qu’elle nous réserve. Dans cet élan puissant. La volonté de se dépasser. La pulsion dévorante ou la rage de vivre.

L’enfant  philosophe.  Il  n’y  a  pas  d’âge  pour  philosopher.  Ici,  la  philosophie  n’est  pas  un  discours, mais une action à vivre, une pensée en action qui devient expérience parce qu’elle surgit du corps, de l’émotion, de la sensation et de l’imagination. Ici, la sensibilité dote le corps d’une intelligence intuitive et profonde. Vivre philosophiquement devient un moyen de réapprendre à voir le monde. Une expérience spirituelle. Ici, dans le plaisir de décrire ce que l’on ressent, nous convoquons à cœur-joie des mémoires profondes à partir de sensations intenses, d’états de corps et d’esprit.

À qui mieux mieux c’est l’intuition du corps qui sent pulser la vie, ému de ce qui se transforme déjà en lui. Embryon spirituel, enfant que nous sommes ou avons été, qui vit en profondeur ce que lui offre l’expérience de sa vie. C’est la capacité de s’émerveiller, de se métamorphoser dans notre rapport sensible aux choses, d’accéder à une forme de compréhension profonde qui échappe à l’explication rationnelle ou conceptuelle. C’est la nécessité d’avancer après ce déchirement originel, de progresser pour cet être sensible qui vient du néant et qui fait un inconcevable effort d’adaptation à s’inscrire dans un monde nouveau. C’est, à l’intérieur de soi, l’histoire d’un combat joyeux, le défi de la vie à relever.

Renaud Herbin