Il fut un temps où les jeunes gens dépendaient entiérement de leurs parents et devaient se plier à leurs volontés. Aujourd'hui les jeunes filles sont libres de leurs choix, et les jeunes hommes conduisent leur vie comme il l'entendent. Mais ces derniers sont souvents sourds, et les premières aveugles ... Leur conduite peut surprendre, et agacer. Leur prétendue largeur d'esprit est fort étroite. La jalousie et l'égoïsme percent sous le masque de la désinvolture. Ils se disent blasés, mais un rien les blesse. Ils se veulent indifférents mais relèvent les plus infimes détails, un mot trop vague les touche, un geste banal les bouleverse.
Hélène est une cinéaste qui se cherche, Thierry un peintre pas encore reconnu. Ils se quittent car ils n'étaient pas faits l'un pour l'autre. Chacun barbotant dans un égotisme foetale avant de trouver sa place dans la société. N'ayant pas encore de position sociale, ils discourent sur un avenir qui les angoisse, comme les personnages de Rohmer discourent sur l'amour faute de l'identifier.
Il y a trois temps chez Marivaux, disait Bernard Dort, "aimer, le savoir, et le dire". Chez Xavier Daugreilh, comme chez Marivaux, le temps d'aimer est arrivé sans que ses personnages ne l'aient reconnu. Ils ne savaient pas, ils ne savent pas encore nommer le trouble qui les saisit, ils se défendent de ce chaos qui les bouscule. Avant de s'ouvrir au monde, à l'Autre, ils s'agitent désespérément, et transforment leur angoisse en agressivité ironique. Hélène vit avec Patrick mais continue de surveiller Thierry. Patrick feint l'indifférence mais épie les allées et venues d'Hélène. Patrick est "sérieux, intelligent et efficace" dans son travail, il va plonger dans des extrémités contraires. A eux les folles nuits, l'abus de boissons, l'excès de chocolat, la fuite en forme de sauve-qui-peut. Alors personne n'hésite à proférer les mots les plus crus, les injures les plus grossières, il est certains mots qu'on ne prononcera jamais. Tout plutôt que de se dire : "je l'aime", tout plutôt que de dire "je t'aime". L'incongruité est aujourd'hui d'avouer ses sentiments. [...]
Par ignorance,, par pudeur, par timidité, les uns et les autres s'abritent derrière des phrases cinglantes, des mots moqueurs, et, renouvelant avec le jeu de la comedia dell'arte, à défaut de confidents classiques, ils prennent le public à témoin. Ils cachent leurs émotions sous des plaisenteries, ils ne veulent pas se laisser attendrir. Mais d'un sourire, aujourd'hui, on sait que l'amour a parlé, et qu'il est le maître. La jeune fille séduite et abandonnée par l'un, n'est plus un objet d'infamie, mais un sujet de raccomodement avec l'autre, et l'enfant qu'elle porte, le corps qui mesure la noblesse du héros. Thierry, enfin maître de lui, abandonne toute mesquinnerie et s'élève, magnanine, à la générosité, au pardon, à l'amour, sans lequel le monde serait vain.
Danielle Dumas (Rédactrice en chef de l'Avant-Scène Théâtre)
37, rue de Montreuil 94300 Vincennes