Alice Ripoll travaille depuis de nombreuses années avec des danseurs issus des favelas brésiliennes. Alors que Jair Bolsonaro ouvertement raciste, sexiste et homophobe vient d'être élu à la tête du Brésil, son travail engagé et impressionnant n'en prend que plus de force.
Avec CRIA, elle livre une pièce ébouriffante, pleine de bruit et de fureur, qui une heure durant nous entraîne dans les pas d'interprètes virtuoses.
Inspirée de la « dancinha », littéralement petite danse, née à Rio et dérivant elle-même du « passinho » (petit pas) mixant les influences traditionnelles du Brésil, comme la samba et la capoeira, avec des mouvements de break dance et de hip-hop, la pièce CRIA commence par un long défilé ininterrompu de corps traversant la scène latéralement. Les danseurs, sexy et inépuisables, sensuels et vifs tournoient, sautent, se déhanchent.
Puis la musique s'arrête. Les mouvements se font plus lents, les corps désertent, l'un d'entre eux reste et entame une danse plus intime et énigmatique.
Cria continuera ainsi à alterner passages musicaux où les danseurs débordent d'une énergie frénétique et l'accalmie de moments plus silencieux, rentrés. De cet écart surgit une émotion particulière, comme s'il nous était donné de voir, derrière le décor bariolé, séduisant, gorgé d'érotisme et de vitalité, des coulisses plus mélancoliques et solitaires, des espaces où les corps s'isolent, se rapprochent par moments, se heurtent et s'effondrent parfois.
En portugais, le mot cria désigne à la fois un jeune être (animal ou humain) et une création. Au Brésil, en argot, il est souvent utilisé pour dire de quel bidonville on vient. Polysémique donc, comme cette pièce, qui conjugue la naissance et la mort, célèbre la force et la sensualité, le désir et la vie qui jaillissent et entraînent les corps, envers et contre tout.
« Sur du funk brésilien qui pulse, dix interprètes magnétiques déroulent une frise secouée du bassin et du reste. Ils emballent le dancinha, une danse urbaine carioca rapide, en piochant aussi du côté du hip hop, du voguing et du twerk... » Rosita Boisseau, Le Monde, 8 décembre 2019
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