Si le flamenco, avec ses codes et ses rites, constitue un monde à lui seul, son influence sur les autres arts est forte. En va-t-il de même de l’influence des autres artistes contemporains sur le monde du flamenco ? Ce duo démontre que, pour le moins, les envies de dialogues et d’échanges existent bel et bien. La rencontre de deux hommes : Andrés Marín et Kader Attou. Ainsi, l’intensité poétique de Kader Attou viendra se frotter aux énergies brûlantes du flamenco, tout en retenue, tensions et fulgurances. Dans un dialogue, sans nul doute passionnant, entre puissances telluriques et forces aériennes, entre narration et abstraction, le public éprouvera tour à tour les vertiges de l’envol et de l’élévation suggérés par Kader Attou puis la confiance de l’appui, l’énergie intense puisée dans le sol par Andrés Marín. Entre défis et attentions réciproques, les danseurs plongeront dans l’univers de l’autre, portés et réunis par la musique vivante de musiciens de flamenco contemporains.
Avec Eric Zorgniotti (violoncelle) et Yvan Talbot (percussions).
Andrés Marín a toujours manifesté un profond respect pour la tradition, en particulier pour le chant, qu’il considère comme la colonne vertébrale du flamenco. Mais il répète à l’envi que rester dans l’imitation naïve ou la reproduction mécanique, c’est vider toute expression artistique de sa moelle et, finalement, manquer de respect à ce que l’on croit servir. C’est bien dans ce frêle espace, dans cet interstice entre la norme et sa transgression qu’existe le flamenco.
Spectacle après spectacle, Andrés Marín s’est construit un univers personnel des plus singuliers, à partir d’une danse qui s’exerce depuis une vision du monde à fleur de peau, depuis des blessures qu’il n’hésite plus à exposer, comme il expose son corps dans une presque nudité.
Aujourd’hui, Andrés Marín semble encore avoir franchi un pas de plus dans cette course à la liberté, il semble tout oser. Lui qui a toujours porté un regard admiratif et humble sur le cante, se risque même à chanter, et le fait très bien. Ses récentes collaborations avec Bartabas ou Kader Attou l’obligent à sans cesse questionner sa danse. Sa profonde connaissance de toutes les nuances de cet art complexe qu’est le flamenco se nourrit de ces rencontres qui bousculent ses pratiques et sont parfois comme des réponses à des questions qu’il ne s’était pas encore posées, mais qu’il avait en lui, profondément ancrées.
Ad libitum, c’est pour Andrés Marín danser au gré de sa volonté, dans le lâcher prise, depuis une liberté totale, dans une improvisation maîtrisée. Mais, surtout, depuis une totale disponibilité au moment, au lieu, à l’autre, qu’il soit sur scène ou dans la salle. Le chorégraphe laisse ici parler son corps, qui
a tant de choses à dire, qui semble s’imposer à lui, brisant les entraves de la raison. N’obéir qu’aux contraintes de ce corps, mais l’amener à dialoguer avec les sédiments hérités et appris qui fondent le socle d’un savoir flamenco patiemment engrangé. Andrés Marín a ainsi appris à désapprendre et compris qu’ Antonio Machado était dans le juste lorsqu’il écrivait « Caminante no hay camino, se hace camino al andar » (Voyageur, il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant).
C’est ce qu’il fait dans ce spectacle : il construit devant nous un chemin sur lequel il nous invite à pénétrer la profondeur de la seguiriya ou le compás de la bulería et nous offre sa danse comme un acte de liberté.
Jean François Carcelen
Avec Segundo Falcon (chant) et Salvador Gutierrez (guitare).
49 avenue Georges Clémenceau 92330 Sceaux