Quatre danseurs - deux hommes, deux femmes - rythment la scène d'une série de mouvements abstraits d'une parfaite précision. Derrière eux, une voix lente et caverneuse, presque atonale se fait entendre, articulant une suite de phonèmes dont on a du mal à distinguer le sens. Quelle relation entretient cette voix avec le quatuor ? D'où parle-t-elle ? Est-ce cette voix qui les anime, leur impulse sa scansion ? Raconte-t-elle quelque chose que seuls les corps peuvent entendre ?
La voix vient de 1973. C'est celle de John Cage, il lit « Empty words » - mots vides. Durant plus d'une heure, sa voix déploie ce long poème fait de syllabes, de sons, de mots inventés, murmurés, malaxés. La lecture, imperturbable, provoqua chez le public de l'époque une réaction de rejet passionnée. Progressivement, c'est comme si John Cage se faisait le chef d'orchestre de son auditoire : ses silences, les suspensions et les reprises de son souffle dirigent les sifflements, les huées, les cris venant du public.
Comme John Cage avec les mots, Angelin Preljocaj vide les gestes de leur sens pour jouer avec leur matérialité propre, leur déploiement dans l'espace. Il se sert de cette toile de fond pour déployer les variations de sa propre syntaxe chorégraphique : les gestes inédits se déroulent avec fluidité en un long continuum – comme si le tissage des combinaisons entre quatre corps pouvait ne jamais s'arrêter. S'appuyant d'abord sur la voix de Cage, sur son rythme – mais aussi sur les cris du public qui envahissent l'enregistrement - la danse se détache progressivement des mots, du brouhaha, pour inventer sa propre logique. Comme si rien ne pouvait l'atteindre, elle fait le silence autour d'elle, multiplie les sauts de côtés, les clins d'œil, les mouvements décalés, ironiques. Mots vides, mouvement vides - mais pleins de directions possibles, d'humour, de légèreté - qui se refusent à signifier, pas à nous émouvoir.
Gilles Amalvi
Création sonore : John Cage Empty words. Par le Ballet Preljocaj.
12, rue Julien Grimau 93170 Bagnolet