Deux spectacles au même programme.
« aKabi » vient du mot « ayakkabi » qui veut dire chaussures en turc. aKabi est une pièce sur les limites et les possibilités créées par un usage peu conventionnel des chaussures. Le résultat est un travail extrêmement rigoureux sur le fil de l’équilibre, d’une beauté étourdissante.
En 2004, Aydin Teker avait déjà présenté STKH, un solo construit autour de la relation des pieds avec le reste du corps. Avec aKabi, elle tente une nouvelle expérience, en mettant à ses danseurs des chaussures de différentes formes et de différentes tailles. Tout en cherchant de nouvelles possibilités de mouvements avec et en dépit des chaussures, un nouveau langage du corps émerge des contradictions équilibre / déséquilibre, symétrie / asymétrie.
Est-ce qu’un objet peut exercer un pouvoir sur nous - comme dans Les souliers rouges de Andersen où une petite fille est entraînée par ses chaussures - et comment le corps peut-il s’adapter à cette mutation pour produire un nouvel état ?
Dans cette pièce, les chaussures perdent leur fonction de protection pour devenir des extensions monstrueuses. La relation à la gravité, à la pesanteur est chamboulée, et c’est tout l’équilibre du corps qui se déplace - offrant à la danse de nouveaux territoires. À chaque paire de chaussures, une nouvelle connexion se développe - à l’environnement, au sol, aux autres danseurs.
Entre expérimentation physique sur les limites de l’organisme et recherche de la beauté inscrite dans cette matière mouvante, Aydin Teker propose de l’évolution une vision propice aux fulgurances visuelles. Des images étranges ou grotesques émergent, images d’êtres fantastiques, mythologiques, qui nous renvoient aussi à la peur ou au fantasme d’une humanité mutante.
Gilles Amalvi
« Mais quand elle voulait tourner à droite, les souliers dansaient à gauche ; et lorsqu’elle voulut avancer dans la salle, les souliers dansèrent pour en sortir, descendirent l’escalier, descendirent dans la rue, et franchirent la porte de la ville. Karen dansait, elle ne pouvait faire autrement, et alla droit dans la sombre forêt. Alors elle fut épouvantée et voulut jeter les souliers rouges, mais ils tenaient bien, elle déchira ses bas, mais les souliers avaient complètement adhéré à ses pieds, elle dansait, elle était forcée de danser... » Hans Christian Andersen, Les souliers rouges
Concept et chorégraphie : Aydin Teker
Créé avec les danseurs : Serap Meric, Ayse Orhon, Emre Olcay, Sebnem Yüksel
Musique : Manuel Mota, Margarida Garcia
Chaussures : Ahmet Inceel (Punto)
Photo : Elio Montanari
Durée: 60 mn
« Le corps est un instrument qui ne produit de la musique que lorsqu’on s’en sert comme d’un corps. De même que la musique perce les murs, de même la sensualité perce le corps et parvient à l’extase. » Anaïs Nin, Journal
Composé comme un chant continu, le solo Anna-Luise élabore une rencontre entre musique et danse, oscillant entre matérialité corporelle et évanescence de la pensée. Qui est « Anna-Luise » ? Une identité en devenir, la fiction d’un corps en train d’exister, ou un corps rêvé, tissé autour d’une interprète, Anna-Luise Recke ? Le regard de Caroline Picard essaie de cerner ce point fragile où vibre la singularité d’une interprète, et de faire de ce point le centre de rayonnement qui remplira l’espace, par vagues, par flux et reflux - le noyau où se rencontrent le corps de la danseuse et la mu-sique, incarnée par la voix de Christian Meyer.
On reste au bord d’une identité - comme le fait la mélodie d’un prénom - où frémissent des sensations, où les notes, le grain de la voix peuvent résonner, et creuser la matière corporelle. Hypnotisée par la musique qui l’entoure, suivant ses impulsions, ses rythmes... Anna-Luise semble chercher quelque chose, ailleurs, au fond d’elle - une force. L’énergie de la scène vibre, et se transmet. Les moments de repli, de repos, donnent à la chorégraphie une respiration, préparant des élans, lançant Anna-Luise à travers la scène qu’elle parcourt comme une zone érogène.
Un vertige s’instaure, jusqu’à ce qu’on ne sache plus si la danse guide ou accompagne la musique - si elle essaie de la suivre ou la fait courir derrière elle. Un espace intermédiaire, où la voix et le corps se croisent, de moments de douceur en accélérations animales. Autour de nous, une atmosphère étrange et mystérieuse suspend le temps.
Gilles Amalvi
Chorégraphie : Caroline Picard
Interprétation : Anna-Luise Recke
Composition, musique live : Christian Meyer
Durée : 17 mn
1-5, place de la Libération 93150 Le Blanc-Mesnil