Un danseur impressionnant
Régi par Boris Charmatz
« À bras le corps »
Chorégraphe exigeant, Boris Charmatz est l'un des plus impressionnants danseurs de notre époque. Après ses solos présentés en mai 2004 au Théâtre de la Bastille, il revient cette année avec deux interprètes rares, Julia Cima et Raimund Hoghe. Un trio en forme de sésame chorégraphique, échange riche de promesses.
Après la richesse des confrontations permanentes que le projet Bocal a pu produire, j'aspire à un sésame chorégraphique, où chaque mouvement, longuement pesé, puisse ouvrir pour le spectateur et pour nous une relation de confiance infinie.
Julia Cima et moi tournons autour de Raimund Hoghe, nous rôdons, mais il est le fantôme. Sa présence suffit parfois à motiver des gestes. J'essaie de diminuer, de simplifier. D'être au niveau du plateau, laborieusement : la chorégraphie est déléguée à des puissances plus fortes. Elle touche des corps inertes, à l'aide de quelques machines simples... La « régie » essaye d'exister malgré l'évidence de sa faiblesse. Le mode est mineur. Un seul geste à la fois, pour ne pas compliquer le tableau, pour bien faire que ce trio n'existe que trafiqué par un seul corps, un seul à la fois. Je prends les gestes un à un, pour bien comprendre le mécanisme. Il y a ceci puis cela, mais le mélange est dans nos têtes.
Boris Charmatz
Pour comprendre le travail chorégraphique de Boris Charmatz, peut-être faut-il crier très fort « À bras le corps », comme d'autres crient « Aux armes ». Cri de ralliement, le titre de son premier spectacle - un duo écrit et interprété avec Dimitri Chamblas en 1993 - a le pouvoir de rassembler mais, aussi et surtout, de mettre en alerte – ne suffit-il pas d'une lettre pour transformer la formule en « À bas le corps » ? Le dialogue qu'il entretient avec sa discipline est passionné et critique, fougueux et lucide. Il n'a de cesse, au fil de ses multiples projets, de mettre en péril les canons de la danse : la beauté et la grâce de l'interprète, la nudité comme allégorie de la liberté, le rapport à la musique, la mise en espace, la formation du danseur... Et dans un même mouvement, il cherche sans répit des voies nouvelles pour que le spectateur ne soit pas uniquement transporté par le mouvement dansé, « mais qu'il se demande plus si tel geste est ou non garant de liberté ou d'expression du sujet ».
Cette déclaration formulée à la toute première page du livre Entretenir, écrit avec Isabelle Launay, nous permet de comprendre le choc ressenti par Boris Charmatz face à Raimund Hoghe. Sa densité scénique semble répondre de manière évidente à la question de la présence qui hante le jeune chorégraphe. « Quand il danse, précise-t-il, on ne voit que Raimund, on ne voit pas le danseur traversé par une chorégraphie, sa présence l'avale ». Survolté par cette rencontre, Boris Charmatz imagine, comme on tente de dévoiler un mystère, de danser avec lui un duo qui reposerait sur l'exercice suivant : essayer de toucher toutes les parties du corps de son partenaire avec toutes les parties de son propre corps et vice-versa. La performance n'aura pas lieu mais le projet Régi, dernière création de Boris Charmatz, est né.
Cette création est très attendue. Con fort fleuve, dernière pièce écrite pour une scène de théâtre, date en effet de 1999, voilà donc plus de cinq ans. Cinq années de créations et de réflexions prolifiques marquées par des projets aussi différents que héâtre-élévision (2002), installation chorégraphique pour un spectateur unique, Entraînements (2003), série d'événements artistiques dans divers lieux de Paris et de Seine-Saint-Denis, et plus récemment Bocal (2003-2004), école nomade et éphémère. Sans oublier l'accompagnement du spectacle Visitations de Julia Cima (2005). Aujourd'hui, comme s'il remettait les compteurs à zéro, Boris Charmatz déclare vouloir revenir à quelque chose de très simple dans le rapport scène-salle, dans l'utilisation du plateau, dans le mouvement. Parce qu'il souhaite une relation de travail placée sous le signe de la confiance et de la délicatesse, la présence de Julia Cima, danseuse intrépide et fidèle interprète de toutes ses pièces depuis Aatt enen tionon en 1995, s'impose comme une nécessité et transforme le duo imaginé entre lui et Raimund Hoghe en trio.
Le titre Régi suggère-t-il que Boris Charmatz a choisi de déléguer son pouvoir de chorégraphe ? Repenser la danse à travers la présence puissante de Raimund Hoghe, c'est certainement pour Boris Charmatz vouloir imaginer des procédés qui ne font pas appel à ses indications. Radical, il décide, de surcroît, de soumettre une partie de la création à la contrainte de quelques machines simples et parle de chorégraphie pour corps inertes : il s'agirait d'organiser l'accouchement du geste par des actions élémentaires, le levé, le baissé, le porté, le déplacé... Le corps ainsi manipulé cracherait peut-être alors, en des gestes modestes mais authentiques, toute la vérité de son histoire ?
Aude Lavigne
Voir http://imagesdedanse.over-blog.com/article-2351994.html
Voir http://imagesdedanse.over-blog.com/article-2351994.html
76, rue de la Roquette 75011 Paris