À partir de 9 ans.
C'est une famille ordinaire, sans problème apparent. Un père entre deux emplois, une mère attentive, une lycéenne sportive, un écolier brillant... Mais ce tableau banal masque un autre point de vue, celui d'une comédie amère qui met en scène des êtres exclusivement intéressés par leur propre vie, incapables d'échange. L'inertie du père, l'hystérie de la mère, l'isolement radical du petit dernier : où trouver une respiration quand chacun reste désespérément muré dans le souci exclusif de son épanouissement personnel ?
La pièce de Sirkku Peltola, auteure dramatique très populaire en Finlande, nous renvoie le miroir d'une humanité piégée à la surface d'elle-même. Son œuvre donne avant tout la parole aux petites personnes, aux gens de tous les jours qui se sentent dépassés par une réalité en perpétuelle mutation. La mise en scène de Tiina Kaartama s'attache à rendre la simplicité et la drôlerie des dialogues. Elle privilégie le jeu des acteurs, visant à mettre en scène cette peur très contemporaine des émotions. Elle déjoue ainsi les stratégies qui nous permettent d'éviter l'autre, voire de le nier. Mais la lucidité n'interdit pas l'espoir, au contraire. Sur la scène, en filigrane, émerge aussi le rêve d'un ailleurs, une forêt de sentiments authentiques où déployer ses ailes.
Des dialogues simples, drôles et incroyablement touchants. Des personnages attachants, qui font de leur mieux, en tant que parents, en tant qu'enfants, en tant qu'êtres humains. Il en résulte pourtant une vie de famille où l'on ne sait rien sur les autres, puisque chacun n'est intéressé que par sa propre vie. L'épanouissement personnel l'emporte sur l'attention qu'on peut apporter à l'autre, et l'image de soi en tant que bonne mère ou en tant que fille indépendante rend chacun aveugle à ce dont l'autre pourrait avoir besoin.
Ce monde est à l'image de nous. Il est à l'image de notre vie pourtant en réseau. Une vie commune à l'image des SMS et des blogs où envoyer une information dans la toile, c'est communiquer. D'échanger, on ne se soucie guère. D'écouter encore moins.
Nous vivons dans un monde qui encourage à l'indifférence. Pour le mettre en scène, un théâtre centré sur les comédiens, et un théâtre qui se fait avec le public. Peu d'artifices techniques, et beaucoup de jeu. Du jeu aussi avec le quatrième mur, pour le rendre discrètement un peu plus transparent, pour faire sentir au public qu'on est tous dans ce même bateau et qu'on voyage ensemble. Du temps. De la respiration.
Un paysage sonore doux et mécanique, tel qu'il semble nous accompagner maintenant à tout moment, dans les lieux public comme dans les lieux privés.
La pauvreté des personnages n'est pas matérielle, elle est émotionnelle. De là vient une nécessité de travailler avec les interprètes sur la peur, pas la peur du loup, mais une peur plus discrète qui nous change davantage en profondeur : la peur des émotions. Essayer de mettre en scène les innombrables stratégies pour éviter cette chose terrifiante que sont nos émotions et les émotions des autres : les esquiver, les survoler, les contourner, les interdire, les cacher, les transformer, les noyer, les nier. Sirkku Peltola a le talent d'écrire sans cruauté, sans accusations. Cette empathie simple nous rend possible d'aimer ces personnages imparfaits, adultes comme enfants qui, dans leur indifférence, deviennent pourtant (presque) monstrueux. Car, ne prenons-nous pas soin des autres toujours comme on peut et non pas comme ils voudraient qu'on puisse ?
Tiina Kaartama
7, rue Louise Weiss 75013 Paris