Un soir comme les autres, à l’heure du diner. Un immeuble. Huit personnages qui mijotent. Le chef avec deux couteaux, une guitare ou une flûte carotte, ajoute des notes salées et sucrées Au rez-de-chaussée, il y a la femme passoire qui écoute pleurer les gouttes. Au dernier, la femme au régime perpétuel, cloîtrée dans sa chambre mais aussi la foodista cuisinant façon Masterchef, et l’homme sexy poivre et sel qu’on recherche désespérément à tous les étages et… et… l’enfant qui par tous les moyens cherche à sortir de table ! Au final, qui va manger avec qui ?
« Fin et succulent. » Gala
On dit communément : Il faut manger pour vivre. C’est d’usage. Mais s’il fallait vivre… pour manger ? Inutile de passer à table, effectivement, si la faim n’est pas au rendez-vous, sans le goût des autres et avant tout de soi-même… L’acte, rituel, quotidien, de cuisiner ou de manger, est d’une telle évidence qu’on y réfléchit peu. Mais tel l’arbre qui cache la forêt, il recèle bien des secrets. Se restaurer… L’ambivalence du verbe est en soi délicieuse. Rapport au réel, rapport aux autres… La cuisine implique notre histoire, nos complexes, notre sensibilité. Nous ne mangeons pas seulement pour nous sustenter. La vie est dans une relation bien plus complexe et riche avec l’acte d’assimiler l’autre dans son corps.
Dans Concerto en cuisine les personnages sont ainsi passés, testés, mixés au laboratoire culinaire, de façon souvent ludique, parfois poignante, et toujours en musique pour tenter d’épouser toutes les richesses et délicatesses de leur intimité. Comment équilibrer les saveurs d’être pour que jamais la satiété ne nous guette et renouveler sans cesse le désir ? Ce spectacle aspire à donner faim, que le spectateur en sorte avec un nouvel appétit de vie, les yeux plus gros que le ventre.
Nous sommes le soir. Un soir. On est invité. On reçoit. Fenêtres ouvertes. Chat qui miaule sur un toit. Odeurs de laurier qui montent de la cour. Le cri de l’enfant qui veut pas prendre sa douche… Et ça m’arrive… Envie soudaine, gourmande, de plonger dans tous les appartements d’en face et de cuisiner les gens. Simplement, à votre façon. Alors, les molécules… On s’agite un peu. On s’avance. On se présente. Hop, hop, hop !
Emmanuelle Dufaure
Cette pièce a pour thème la cuisine ou plus exactement ce qui s’y trame pour la cuisinière qui s’affaire… Ceci étant, il ne s’agit pas d’un solo mais bel et bien d’un concerto, dès lors plusieurs portraits de cuisinières et autant de possibilités de rencontres, de réponses que l’on compte… d’invités. Une pièce à personnages multiples avec leurs singularités respectives et un premier parti pris comme une gageure : deux comédiennes pour incarner cette pluralité. Un ballet théâtral où, par des mouvements chorégraphiques sensibles, des « jingles » musicaux choisis, des personnages en chassent d’autres dans une ronde kaléidoscopique de dialogues spontanés, entrecoupés, échangés à l’occasion d’un dîner. Un défilé de personnages singuliers donc mais dans lequel on doit débusquer au détour d’une phrase, d’un geste, l’autre, celui que l’on connaît… Un choix : celui d’une scénographie épurée pour pouvoir allègrement changer d’espace avec une place centrale laissée à un musicien conçu comme un monsieur loyal revisité, un maître du jeu ou des « je » qui en direct accompagne les intentions du spectacle. A mesure que ces dîners avancent, que les personnages se dessinent, les vérités sont dites et la mise en scène se dépouille d’artifices… On espère alors que le spectateur aura peine à nous quitter comme après un dîner trop arrosé entre amis, où on a parlé de soi, du monde, du moment et que l’on a pu suspendre le temps.
Nathalie Izza, Céline Roux
3, rue des Déchargeurs 75001 Paris