Contrôle-Réaction / Montage for Three

• Contrôle-Réaction

Chorégraphie et interprétation : Jean-Sébastien Lourdais

A l'horizon de ce que Gilles Deleuze a décrit comme "société de contrôle" – où l'individu n'est plus seulement « surveillé », mais autorégulé par la logique marchande – apparaît un ensemble de dispositifs dont le corps est le centre névralgique, dispositifs visant à la maîtrise de l'espace dans lequel il circule, et des intensités qui le parcourent. Ce modelage du corps, de ses désirs, de ses principes d'action va servir de ligne directrice à la plongée en eaux troubles opérée par Jean-Sébastien Lourdais – au plus près des métamorphoses du corps contemporain.

En effet, Contrôle-Réaction se penche sur cette tentative de mainmise sur la chair désirante – maîtrise prise ici sous l'angle de la consommation, de la pression continuelle que subit l'individu dans un environnement qui lui ordonne de consommer pour pouvoir jouir. Comment représenter l'écart entre la vitesse de l'échange continu, du flux de l'information, de la marchandise – et les capacités d'adaptation de l'organisme ? La violence des contraintes qu'il subit ? Comment aborder les « dysfonctions inscrites dans nos comportements de masse » au travers d'une seule présence ?

En une vision oppressante, striée de néons blancs, le regard découvre la silhouette du danseur agitée par une force intérieure qui semble lui échapper. Progressivement submergé par la répétition obsédante des mêmes gestes – se mettre à genoux, lever un membre, l'abaisser – il passe devant nos yeux par toutes les étapes du démantèlement intérieur, dans un mouvement d'envahissement toujours plus incontrôlable. Qu'est-il, ou que devient-il exactement ? Un guerrier, le simulacre d'une humanité mutante ? Un bébé, un animal ? Comme s'il suivait le cycle de l'évolution à l'envers, ses mouvements, son mode de déplacement, son maintien se transforment, repassent par des stades inconnus, et régressent jusqu'à perdre l'usage de la station debout. La dernière image – miroir grimaçant de notre condition – est celle d'une poule. Réaction ironique au contrôle exercé sur le vivant...

Gilles Amalvi

Conception et chorégraphie : Daniel Linehan
Interprètes : Daniel Linehan, Salka Ardal Rosengren

La nouvelle pièce de Daniel Linehan est un trio très spécial. En effet, le troisième intervenant de la performance n'est pas un danseur, un musicien, mais une série d'images projetées, en constante interaction et en constant décalage avec les actions qui se déroulent sur scène. Cette « chorégraphie d'images » introduit une relation à double-sens : les photographies et les captures de films sélectionnées – donnant à voir des figures, anonymes ou célèbres, des scènes historiques porteuses d'un temps déjà disparu – se confrontent aux corps mobiles, dans l'ici et là d'un présent absolu.

Soumis à une découpe précise – une action par unité de temps – chaque geste révèle ses circuits : ralentissant, accélérant, ou immobilisant l'action, les danseurs deviennent eux-mêmes les photogrammes d'un film en cours de montage. La déconstruction qui s'opère nous amène à percevoir de manière étrangement mécanique les ramifications qui trament le corps animé, la relation d'une impulsion à la suivante.

Est-ce que les interprètes sont soumis à l'image – l'imitant, cherchant à en reproduire le moindre détail, ou est-ce l'image fixe qui est révélée par le montage souterrain qu'opèrent les danseurs ? De ces photographies n'entretenant aucunes relations entre elles, émergent des similitudes : un fil se reconstruit, des liens manquants apparaissent. Chaque image est ainsi prise dans un double réseau référentiel : indiquant le contexte dont elle est issue, que chacun peut reconnaître, elle est incessamment réinterprétée, en fonction de la place nouvelle qu'elle adopte au sein du montage.Les délais entre l'apparition d'une image et sa reproduction sur scène sollicitent la mémoire du public, qui cherche à assembler les pièces de ce puzzle à géométrie variable. On peut définir le montage comme le processus de sélection et d'agencement d'éléments séparés, dans le but d'aboutir à un tout continu.

Dans Montage for Three, cette totalité se dérobe : restent les indices, les traces, les interstices par où se glisse le montage subjectif effectué par chacun.

Gilles Amalvi