“Il tourne et retourne sur lui-même comme peut le faire un voyageur égaré dans une forêt, revenant sur ses pas, repartant, trompé (ou guidé) par la ressemblance de certains lieux pourtant différents et qu’il croît reconnaître.(...) Et il peut même arriver qu’à la fin on se retrouve au même endroit qu’au commencement. Aussi ne peut-il y avoir d’autre terme que l’épuisement du voyageur explorant ce paysage inépuisable.” Claude Simon, Orion aveugle
La nouvelle création d’Emmanuelle Vo-Dinh est un solo, un trajet solitaire avec soi-même, avec ses propres obsessions, ses propres gestes. Comme tout solo, c’est un autoportrait, une certaine manière d’articuler, sur scène - comme sur un miroir - le rapport de son propre corps, à l’espace et au temps qui l’enveloppent. Le plateau, recouvert de laque noire, conserve les traces de passage : il devient comme une plaque photographique qui laisserait voir l’écoulement du temps, offrant une autre temporalité que le miroir - toujours au présent - que la photographie, figeant un passé ; il révèle le dessin inconscient du corps.
Mais autoportrait ne veut pas dire se raconter, introduire une narration. Emmanuelle Vo-Dinh s’intéresse à la matière du corps, elle la manipule à partir de « ce qu’elle sait faire » : aller jusqu’au bout de chaque articulation, déplier le corps comme un origami dont la forme finale resterait suspendue au trajet emprunté, aux accidents de l’enveloppe.
Pliages, plissements, élancements de forme, pour arriver à un autre état sensoriel, basculer dans un état où le contrôle n’est plus le même. Le corps se déplie pour aller au bout de lui-même, rencontrer l’étranger, la terra incognita en soi. Dans ce voyage, Emmanuelle Vo-Dinh part d’un ici pour arriver... où ?
En chemin vers quelque chose, vers quelqu’un, elle rencontre ce « per/for » : pour. On peut lire le titre, littéralement : « ici perfore ». Perforer l’ici pour déboucher dans l’inconnu. Se perforer, se traverser, dans un long continuum de mouvements qui vont chercher dans les anfractuosités du corps, dans ses recoins secrets. La musique de Zeena Parkins est peut-être l’adresse de ce « pour » ; elle accompagne, s’enroule, crée une nouvelle enveloppe autour du corps. Elle cherche à répondre à l’intimité du corps dans le son.
Il n’y a pas ici et là, mais ici et ici, deux matières qui se cherchent. Le « là » est un diapason, le lieu de leur rencontre, qui est là « pour » le spectateur, s’enrouler autour de lui et lui offrir un nouveau point de vue.
Gilles Amalvi
Avec le regard de Franck Picart
Musique live : Zeena Parkins
« Au commencement : ici… dans ce lieu… maintenant… Partir du corps comme sujet « matière » ou matière du sujet. Entreprendre ce corps, trouver la dynamique pour irriguer l’espace, et propager en ondes et motifs successifs les plis et replis de cette fabrication-imbrication-et-déploiement…et jouer au miracle de pouvoir se déposer, se soulever, s’abandonner, et résister… Puis, Per.For, puisqu’avec Zeena Parkins, il est soudain question du partage d’un espace… et d’une certaine façon de l’intimité qu’il y a, à se faire face dans un corps à corps vibratoire, à s’engager pour la première fois ensemble sur un mode d’écriture qui nous dévoile d’une façon autre…
Per.For, pour que cette rencontre s’alcôve avec ceux qui partageront cet instant… Une certaine jubilation, qui tiendrait de l’expérience partagée, où « je » est d’autres, multiple et donc « ailleurs »… douce échappatoire de l’ennui et du voyage de soi à soi. » Emmanuelle Vo-Dinh
59, boulevard Jules Guesde 93207 Saint-Denis
Voiture : Depuis Paris : Porte de la Chapelle - Autoroute A1 - sortie n°2 Saint-Denis centre (Stade de France), suivre « Saint-Denis centre ». Contourner la Porte de Paris en prenant la file de gauche. Continuer tout droit puis suivre le fléchage « Théâtre Gérard Philipe » (emprunter le bd Marcel Sembat puis le bd Jules Guesde).