La pièce
De la première envie jusqu’au Petit Gymnase
Feydeau : le Monstre Sacré
Yvonne avait très bien commencé sa nuit, bien au chaud tandis que la pluie fait rage dans les rues. Elle aurait pu la finir tout aussi tranquille si Lucien, son jeune mari, n’était pas revenu trop joyeux, à quatre heures du matin, empli des mélodies du Bal des Quat’Zarts. Règlements de compte évidents ; mauvaise foi de chacun ; reproches incisifs. Soudain la colère est balayée par un coup de sonnette inattendu. A la porte, se trouve le porteur d’une mauvaise nouvelle : la mère de madame est morte.
“A tout homme audacieux, rien d’impossible.”
Il est de ces tournants dans la vie où nous passons - plutôt nous en ressentons l’envie -du tout au tout, changeons de cap, avec la certitude que l’on y verra plus clair, que nos rêves les plus enfouis devront un jour se réaliser. Bref, nous commençons à avoir foi en notre folie douce. « Voilà un vrai pari ! » se dit-on, « un pari si audacieux que je ne peux que m’y soumettre, le servir et le tenir jusqu’au bout ! ». Une lumière éclaire alors mon projet, me rassure, moi l’amoureux du théâtre et des comédiens, qui ne connaît le théâtre qu’en tant que spectateur, ce théâtre qui me fascine depuis trop longtemps : l’arrivée soudaine et enthousiaste de vrais professionnels, à ma portée. Comédiens, metteur en scène, techniciens qui me disent « nous pouvons le faire ». Ma société de production est enfin lancée, des partenaires fidèles sont là, le spectacle se jouera, je serai enfin le plus heureux des hommes. De Marcel Ebbo à Marcel Ebbo, du bureau à Feydeau, de la terre à la lune.
Marcel Ebbo, producteur
Bientôt un siècle nous séparera de Georges Feydeau. Et cependant, tout comme Molière, ses écrits me font rire chaque fois que mes yeux tombent sur une réplique, sitôt que je me laisse absorber par les situations cocasses. Est-ce par goût de l’histoire théâtrale ou plus simplement parce que j’y retrouve le monde, et avec lui, l’humain ? Car c’est bien de cela dont il s’agit : du rire, propre à notre espèce.
Mais où se trouve cet espace de vérité que la mise en scène doit révéler ? Qu’est ce qui se cache derrière l’absurde ? Comment toucher le public autant que je le suis ? Bref, comment servir avec humilité, avec respect le génie ? S’attacher à la mécanique, au rythme est une évidence ; ne résumer le jeu comique qu’à cela est pure folie ; dévoiler seulement le drame humain apparaît comme tragique ; jouer sur l’époque me semble dérisoire…
Perdu dans mes interrogations, certain qu’il doit exister un espace dans lequel toute la troupe peut s’engouffrer sans jouer du vieux théâtre, un univers à travers lequel Feu la mère de Madame peut vivre en liberté avec nous, je repense à cette phrase de Beaumarchais : « Je me dépêche de rire de tout de peur d’avoir à en pleurer ». Cette citation est tout comme Feydeau : ni d’hier, ni d’aujourd’hui, ni de demain.
Je replonge alors dans la pièce : je mêlerai les époques ; le décor sera épuré jusqu’à l’évocation ; je glisserai des costumes et des accessoires contemporains en contradiction avec d’autres qui ne le sont pas. Voilà pour ce qui est de l’univers du rire ! Et pour ce qui est de “pleurer” le surréalisme nous permettra de parsemer la pièce d’instants silencieux, dans lesquels le misérabilisme des personnages émergera, soutenu par le retour au son de la pluie, par un changement léger d’éclairage.
Nous nous y sommes tenus avec enthousiasme et plaisir... avec exigence aussi. Sur scène, nous serons au charbon avec bonheur. Nous prendrons chaque soir le pari de devenir humainement et comiquement fous, pour vous… et pour lui : Georges Feydeau, le sacré monstre.
Jean Benoit Souilh, metteur en scène
38, boulevard de Bonne Nouvelle 75010 Paris