Le Cirque électrique accueille le Théâtre de la Suspension / Bertrand de Roffignac.
« Le Chien serait heureux s’il avait la chance de vous voir. Je pense à lui. Nous pensons tous à lui. Vous aussi vous pensez à lui, pour la simple raison que nous pensons par lui...».
Le temps d’une soirée, vous serez invités à retraverser les principaux événements de la vie du Chien, figure mythique mi-homme mi-bête, parvenu à renverser les derniers tabous d’une société sur le déclin. Ce récit viendra justifier son goût pour la chair humaine, ses amours contrariées avec une funambule obèse et la fascination progressive dont il fut l’objet pour ce qui s’est appelé notre Humanité.
Inspiré par la vie et l’oeuvre de Vladimir Slepian, auteur mystérieux de la fin du XXème siècle, vraisemblablement mort de faim à Paris en 1998, cette création aura été l’occasion pour l’équipe artistique du Théâtre de la Suspension de partir à la recherche de ses fondamentaux poétiques. Il fallait que la dramaturgie, la scénographie et l’univers sonore puissent atteindre une densité maximale afin de constituer un appui solide pour le comédien seul en scène. Le motif de la dévoration est peu à peu apparu comme le biais permettant de reconsidérer de façon originale notre manière de faire société. Qui dévore qui ? Pour qui ? Pourquoi certains mangent quand d’autres sont mangés ?
J’ai rencontré Bertrand pour la première fois dans une salle de conservatoire, pas du grand conservatoire, une salle municipale où nous était présenté le parcours d’initiation au théâtre ; il en dérangeait le bon déroulement par sa seule présence, sans avoir rien à dire.
Deux ans plus tard, il est entré au CNSAD alors que je m’inscrivais en fac de théâtre. On m’y apprenait les noms des metteurs en scène avec lesquels il travaillait. Mais son entrée fracassante dans l’institution, ce n’était pas assez, il fallait s’en servir comme d’un levier, prendre de vitesse son propre élan. Il a donc répété cette vieille histoire du théâtre public, de la décentralisation, de la troupe (rappelons au passage qu’il a fait ses classes au Théâtre du Soleil). Il a mené une vingtaine d’artistes dans un site troglodyte, a décidé que j’étais auteur, qu’il fallait monter mon texte ainsi qu’une dizaine d’autres spectacles. Cette première étape s’est conclue par une création, Cela s’appelle la tendresse, libre adaptation de l’oeuvre de Camus, « une victoire facile, dira-t-il en sortant, le texte était déjà écrit ». C’est un point important, un tournant essentiel dans sa relation à l’art théâtral, il était metteur en scène, il deviendra poète, et cherchera sa famille parmi eux, qu’il s’agisse de Dieudonné Niangouna ou d’Olivier Py. Son deuxième spectacle, Four corners of a square with its center lost, sera une entreprise esthétique et collective
renversante, le point d’acmé qui soudera autour de lui une équipe artistique à la mesure de son hubris dévorant ; le scénographe Henri-Maria Leutner, le compositeur Axel Chemla--Romeu-Santos, la dramaturge Juliette de Beauchamp, tous curieux de savoir jusqu’à quel territoire la fréquence de Bertrand peut les emmener.
Ce sont ces amitiés qui lui permettent de tenir, lui donnent confiance, et l’ont décidé à rendre collectifs ses différents processus de création. Cela nous a amenés à écrire une pièce ensemble, Fils de Chien (manifeste autophage - I -), ou l’histoire d’un jeune homme voulant avaler le monde.
Mais il ne veut pas s’arrêter là, tout en poursuivant son destin de comédien, il entend créer un triptyque, alors même qu’un film qu’il a écrit avec Olivier Py est en cours de réalisation.
Avignon-Cannes c’est rapide en train, et Bertrand file à toute vitesse, il tient sa note, parfois je rattrape le wagon, parfois j’attends qu’il ralentisse un peu, toujours est-il que je ne le quitte ni des yeux ni des oreilles. Vous devriez faire de même, à vos risques et périls.
Place du Maquis du Vercors 75020 Paris