Des musiciens sur scène, une vaste épopée du Far West, un cabaret d'histoires en bout de route, une femme pour nous les raconter, voilà le grand projet que trame le metteur en scène et dramaturge Gildas Milin. Le Théâtre de la Bastille en présente une étape.
Extrêmement documenté sur le monde réel, le travail de Gildas Milin élabore en même temps, et tout en s'inspirant de ses découvertes, d'autres voies pour faire théâtre, pour raconter des histoires. Chacun de ses spectacles organise des méthodes de travail différentes et des groupements humains différents. Cabaret musical in progress, son dernier opus cherche à donner de la voix aux femmes fortes du sexe faible.
A.L
Gildas Milin, pouvez vous nous présenter le spectacle au titre Force faible, que vous allez jouer au Théâtre de la Bastille ?
C’est une porte ouverte sur un très grand projet que je suis entrain d’écrire. C’est une saga qui commence avec la ruée vers l’ouest dans l’univers du western. Je dirais que c’est une interrogation sur un troisième sexe, sur la féminité et sur le cyborg.
L’histoire est la suivante : un cyborg qui se prend pour une femme, mais qui est peut-être porteur d’une autre sexualité, s’interroge sur les deux parties qui le constitue, à savoir une partie machine et une partie humaine. Le personnage, qui s’appelle Rose, monte un cabaret dans lequel il s’interroge sur ses origines. Ce qui le ramène très loin en arrière en 1840, entre 1840 et 1860 aux États-Unis au moment où les pionniers traversent le continent américain pour aller en Californie et en Pennsylvanie. Cette héroïne effectue sa traversée en solitaire, monte un cabaret, et vit des histoires absolument dingues qui parfois confinent à la nuit des morts vivants, où tous les styles sont confondus, du western au film d’horreur, en passant par le concert rock.
C’est une sorte de fable ?
C’est une fable qui s’inspire d’histoires vraies qui m’ont passionné.
Je me suis beaucoup documenté et j’ai découvert qu’il y a une femme noire, qui a réussi à faire la traversé seule. Elle est devenue blanchisseuse et a fait fortune dans le linge. Elle envoyait beaucoup de son argent vers des communautés noires pour les inviter à faire la traversée.
Il y a un autre épisode réel que je raconte, il est très important pour la neurobiologie, et le spectacle est aussi lié à des questions scientifiques. Un contremaître, Phinéas Gage, qui travaillait pour la compagnie de chemin de fer la plus importante de l’époque « Righton and Burlington Railroad Company » a un accident. C’est un spécialiste en dynamite, et donc un jour, il se retourne, quelqu’un lui parle, tout le sable n’a pas été versé dans le trou et l’explosion se produit. La barre à mine va lui traverser la tête, elle lui passe à travers la joue. Une barre à mine, ça fait quand même trois centimètres de diamètre, c’est énorme. Elle va lui sectionner le nerf optique gauche et elle va ressortir par le lobe préfrontal. Il a un trou dans le crâne et il perd une partie de sa matière cérébrale. Mais contre toute attente, Phinéas Gage est toujours vivant. Il parle, il marche, et il n’a pas plus de problème que ça. Un médecin va s’intéresser à son cas, il s’appelle John Harlow. Il se rend compte que c’est le même homme, mais que ce n’est plus le même homme. C'est-à-dire que tous ses comportements ont changé, son rapport au monde social a complètement changé et il va comprendre, petit à petit, qu’il est dans l’incapacité de faire des choix. Il ne peut plus opérer de choix parce qu’il a perdu la sphère du choix. Et ainsi en un an, il descend de l’échelle de la survie sociale et se retrouve dans l’incapacité de rien faire. Il finira dans un cirque, un peu comme Elephant Man, à exhiber son trou pour de l’argent.
Un des premiers épisodes de mon histoire, c’est une conférence à la faculté de Boston dans laquelle ce scientifique explique ce qui est arrivé à Phinéas Gage. Notre héroïne, Rose, qui n’a rien à voir avec tout ça, va croiser par une série de péripéties, le destin de ce médecin.
Donc le spectacle est une série d’épisodes qui constituent une très grande histoire avec beaucoup de moments où il y a des phénomènes de transmutation d’âmes, où les gens changent de corps, une âme va d’un corps à un autre, etc. C’est un spectacle sur des phénomènes paranormaux. Je pourrais dire que l’histoire du spectacle c’est comment un cyborg se pose des questions sur son devenir à partir d’une interrogation qui s’est passée derrière lui.
Quelle forme le spectacle va-t-il prendre au Théâtre de Bastille, ça sera évolutif ou ça sera juste une étape de cette épopée ?
Je ne sais pas bien encore, il y aura cinq musiciens. Cela peut être un concert, on donnera quelque chose dans l’idée d’un cabaret, mais cela peut aussi être un vrai happening. Comme il est présenté sur trois soirées, ce sera peut-être trois épisodes différents. Il est très difficile pour moi de parler d’une forme précise …
Mais l’univers parlera d’une femme à travers différentes époques, parlera d’univers multi-dimensionnels, du rapport entre les vivants et les morts, du rapport entre les machines et les vivants et il y aura une forme probablement assez rock.
Aude Lavigne
76, rue de la Roquette 75011 Paris