Du japonais : jouir
Un hymne à l’amour
Extraits du projet artistique
Un cycle de trois pièces
En japonais, Iku, titre du spectacle présenté par la compagnie Théâtre à cru, signifie « jouir ». C’est raide, direct, chauffé à blanc par le metteur en scène Alexis Armengol. Epaulé sur le plateau par le danseur Pascal Allio, interprète d’excellence de la danse contemporaine française, et la chanteuse Claire Touzi Dit Terzi, incandescente comme chacun sait depuis sa prestation dans Iris de Philippe Decouflé, il explore cet étrange territoire qu’est le corps amoureux.
Dans un dispositif bi-frontal propice à l’intimité physique entre les acteurs et le public, le trio d’artistes intempestifs prend à la gorge le scénario de l’amour et du sexe, histoire d’en savoir un brin davantage sur ce qui nous bouleverse au point parfois de ne plus être tout à fait nous-mêmes. À quoi reconnaît-on l’amour lorsqu’il se manifeste ? D’où viennent ces symptômes physiques qui nous transforment ? La violence frénétique de la sexualité est-elle sensualité ou angoisse à la recherche d’une impossible possession ? Si être en couple c’est ne faire qu’un, lequel finit par bouffer l’autre ?
Deux hommes face à une femme réinventent le chiffre deux et toutes les formules possibles de cette aventure infinie qu’est la rencontre avec l’autre. Dans cette fouille au corps des sensations les plus enfouies, les plus troubles de l’humain lorsqu’il aime et désire, Claire Touzi Dit Terzi, qui vit sa voix comme un scénario de cinéma plein de rebondissements, garde le cap d’une volupté écorchée qui sait si bien raconter le corps et ses désordres, ses déboires et sa jouissance.
D’après les textes Caresses de Sergi Belbel et Nœuds de Ronald David Laing.
Etre en couple, c’est ne faire qu’un, mais lequel ? Iku#1, c’est l’histoire d’un instant, d’une déflagration, d’une révolution domestique qui fera que rien ne sera plus comme avant.
Conversation intime et publique
La difficulté quand on parle d’amour, c’est d’éviter de sombrer dans la poésie creuse ou dans la banalité des formulations préétablies. Il y a quelque chose d’in-nommable dans l’amour, justement parlons-en, le sourire aux lèvres.
Deux ans après la création du spectacle, cette nouvelle version d’Iku prend la forme d’une conversation intime et publique. Les personnages rompent avec leur passé, mais pour devenir quoi ? Cette rupture est forcément exposée au regard de l’autre, il y a des témoins : en premier lieu évidemment les spectateurs, mais également tous les absents, « les fictionnels » : la famille, les amis, les inconnus et les consciences, « bonnes ou mauvaises ». Parler de l’intimité (dans le couple et avec soi-même) a été notre préoccupation essentielle au cours de cette création, et c’est elle qui lui donne tout son sens.
L’amour naissant
Les personnages d’Iku questionnent leur relation, et pour se faire, reprennent au début : leur rencontre, l’amour
naissant*, instant extraordinaire difficile à définir, ils s’en amusent et tentent de comprendre ce moment de vérité où l’on se reconnaît l’un l’autre comme porteur des mêmes aspirations. Peut-être même en profite-t-on pour se connaître un peu. L’amour cherche l’authenticité.
La société, elle, cherche, même dans ce domaine, à asseoir l’institution : le couple. Mais la discontinuité est le propre de l’amour, il ne peut être égal dans le temps, or le quotidien du couple refuse cette intermittence amoureuse et l’autonomie nécessaire à chacun. Une fois l’amour installé, que faisons-nous de notre soif de renouveau ? La violence frénétique de la sexualité est-elle sensualité ou angoisse à la recherche d’une impossible possession ? L’institution permet-elle d’autres amours naissants ? Peut-on aimer deux personnes à la fois ? Quelle place y a-t-il pour l’amour dans ce pacte institutionnel ? Et pourquoi après tout devrions-nous choisir l’institution ? Pour ne pas finir seul ?
Une nouvelle fois analphabètes de l’amour, entre fantasme et réalité, douleur et plaisir, les personnages tentent de comprendre et d’apprendre. Mais peuvent-ils tout se dire ?
Quoi qu’il advienne, ils vont avoir à faire le deuil de leur couple. Malgré toute la souffrance, ce deuil reste un hymne à l’amour.
Mais s’ils se séparent, que restera-t-il d’eux ?
Une autre narration
Juxtapositions, collages, rapprochements intempestifs d’images, de musiques, de chants, de mouvements et de paroles contribuent à créer un cubisme des relations, où les perspectives sont faussées et les différents angles de vue accolés. Nous travaillons depuis plusieurs années sur ce que l’on pourrait appeler une forme concert du théâtre ; elle permet une relation singulière aux spectateurs et travaille sur les lisières, les frontières entre personnage et interprète, jeu et non jeu pour mettre en place une autre narration.
Alexis Armengol
* terme emprunté à Francesco Alberoni
Raconter une histoire au monde sur le monde. Simple, récurrent, mais fondamental. Voici ce qui nous anime profondément et que nous nous devons de toujours garder à l’esprit.
(…) Et c’est grâce à cette obstination que nous nous confrontons aux troubles et aux tourments de ce siècle, révélant cet enjeu incontournable qu’est le nôtre : témoigner par notre art des élans et des errements des hommes, « désordonner » les esprits et les pensées par une représentation de soi-même et des autres, pour, simplement, rendre compte que l’on est vivant. Tendre vers cette grande ambition peut paraître utopique ou élitaire et notre gageure se situe donc bien là : convaincre par des actes. Nous aspirons à reconstruire une réflexion du possible, à recréer un langage commun, façonner une image de l’homme sans donner de leçon, sans prétendre détenir la vérité. Bref, inventer et réinventer toujours, retrouver un sens singulier à nos vies, et non un sens unique. (...)
Amener le spectateur à décaler sa vision du monde, à percevoir l’envers de son endroit, à sortir de son univers quotidien pour découvrir un ailleurs, peu importe qu’il soit proche ou lointain, c’est cela qu’il nous faut réussir. Il s’agit donc de défragmenter le public, le toucher avant tout, rencontrer son regard, atteindre son écoute, solliciter son espace de projection individuel, lui proposer un désordre émotionnel. Notre théâtre doit être celui qui dérange, perturbe autant que celui qui fait rêver, esquissant de nouvelles images. Il doit rompre avec la consommation culturelle et l’aimable scepticisme ambiant. Il nous faudra alors rencontrer chaque spectateur afin de lui permettre de se positionner, de réagir à notre travail : créer démocratiquement mais sans démagogie. La vigilance sera en effet d’évaluer le risque permanent que recouvre toujours le spectacle vivant : l’influence de l’adhésion collective. Risque présent certes, mais que l’on peut percevoir comme désuet quand on se pose la vraie question, en amont, celle du non-spectateur. On gagne alors en humilité. (...)
Nous tentons donc de faire coïncider notre pratique de recherche théâtrale au travail de rencontres avec nos publics par une pluralité des approches (formes, propos, traitement, spectateurs...) en prenant peut-être le risque de l’éparpillement, mais au fur et à mesure, à force de rêves et de désirs naissent des projets et des actes.
Compagnie Théâtre à cru
Iku #1 (2002)
Conception et texte, Alexis Armengol
7 fois dans ta bouche #2 (2003)
Conception et texte, Alexis Armengol
Fragments de textes additionnels : Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce,
Discours aux Français de Philippe Pétain, De la conversation
de Théodore Zeldin.
7 fois dans ta bouche #2 interroge sur les mots… et les maux. Entre paroles perdues, non-dits et discours, les deux interprètes s’amusent avec les codes de jeu, dans une adresse directe aux spectateurs, et nous renvoient à notre propre relation à l’autre et à soi. Entre musique et silence, le ton passe de la dérision à l’aveu, du don à l’humiliation, de l’exaspération à la connivence. Quel est le secret de nos paroles ? Comment laisser émerger une autre parole, intime et libératrice ?
Puisqu’il est urgent d’établir d’autres relations, la compagnie propose aux spectateurs de partager un moment informel et convivial à l’issue de la pièce, où seront partagées les denrées apportées par chacun.
I’m sorry… #3 (2004)
Conception et texte, Alexis Armengol
Deux êtres humains, A et B, l’un a soixante ans, l’autre trente. Interrogés par un troisième personnage, sorte de chœur constitué d’un vidéaste, d’un musicien et d’un médiateur, celui qui était là avant et celui qui était là après doivent « répondre » de leur aptitude à la vie heureuse. Tout cela sous la lumière crue d’une interview imaginaire qui prend l'allure d'une expérience de laboratoire, d’une confession impudique où la dérision apparaît comme seule ligne de fuite.
La question du bonheur semble naïve, dérisoire, obsolète, ou même inutile. Qu’est-ce qu’être heureux ? Pourquoi devrait-on l’être ? Pourquoi même se poser la question ?
I’m sorry… #3 se situe entre les deux mâchoires d’un étau : d’un côté les « projections » d’un bonheur standard, normé et stéréotypé, imposé par la société ; de l’autre côté, une construction intime et l’émergence d’une conscience singulière.
1, Place du Trocadéro 75016 Paris