Claire concocte un diner épicé de formules assassines à l’intention de Marc, son mari. Motif ? Une locution matinale qui prend valeur de discours de politique générale, un détail qui, après des années de vie commune lui donne le coup de grâce.
«Tu n’as pas appelé le garage... bien sûr»... ce «bien sûr», c’est la goutte d’eau qui met le feu aux poudres, l’étincelle qui fait déborder le vase. Car Claire mélange tout, cherche des poux dans la tête de l’époux et rectifie la sauce et le portrait du dîneur, pétrît la pâte et pourrit le mari, une bonne pâte pourtant ce mari...
Mais voila, passées les années, les bonnes blagues le sont moins, les oublis ont des airs de préméditation et l’irritation galope, transformant l’épouse en amazone avide d’aventures... Claire les partage avec nous, pour notre plus grand bonheur !
Ce matin, Claire a prévenu Marc, son mari depuis 22 ans : ce soir, on va parler. Elle prépare le dîner et l’attend donc de pied ferme.
Va-t-elle lui annoncer son départ pour infidélité ? Non, rien de tel dans le monologue de Murielle Magellan et c’est ce qui m’a séduite, pas d’élan de femme trompée, pas d’amant dans le placard. Claire est plutôt une parente lointaine de la Nora d’une Maison de Poupée d’Ibsen mais elle est moderne, c’est une femme mûre qui travaille, qui s’assume, mère, épouse dans un couple qui dure.
Elle l’attend pour lui dire quoi au juste, le sait-elle ? Dans une langue vive et drôle, dans des coqs à l’âne, Claire va se parler, apostropher son « Marc », nous confier sa lassitude de la petite routine et des grandes habitudes de la vie de couple, mais aussi son attachement profond à celui qui partage sa vie depuis si longtemps.
« L’amour est à réinventer, on le sait ». Claire va aussi à sa façon réinventer l’amour, le désir et le choix possible d’une nouvelle liberté, elle s’amuse, tout est possible encore.
A travers tous ses allers retours, ses humeurs – l’écriture de Murielle est colorée, rapide, rythmée - c’est elle-même que Claire rencontre. Que vit-elle dans l’amour qui dure ? A quoi renonce-t-elle ? A être Une... mais comment vivre le monde sans ce Deux de complicité, de tendresse, de construction, d’amour ?
Mettre en scène Il y a (trop ?) longtemps que je t’aime, ce parcours de femme aux prises avec le temps, de femme au bord de la crise, c’est emmener la comédienne, Martine Fontaine – que j’ai déjà mise en scène dans « J’me sens pas belle » et que je retrouve en toute connivence - de la retenue à la colère, la tendresse, la fantaisie et toujours avec un solide humour.
Le décor sera simple et stylisé - une cuisine avec plan de travail, tabourets, éléments de rangements, radio - suffisamment réaliste pour que la comédienne soit dans des actions concrètes, préparer ce dîner, pour que naisse presque malgré elle, cette mise au point de son couple. Le décor évoluera au fur et à mesure de ses confidences, et nous rendra spectateurs de plus en plus complices de son cheminement intérieur.
Pour ponctuer ses hésitations, ses doutes, et marquer à la fois le temps qui passe et qui effraie, le temps aussi des jolis souvenirs ou qui peut dévorer le couple, l’amour : dans la cuisine de Claire, sur son tableau d’art contemporain, seront projetées quelques images de famille. Une musique liée aux images ou décalée, comme un clin d’oeil, interviendra quelques fois.
La lumière, outre quelques points lumineux inscrits dans le décor, sera simple : ambiance cuisine d’un soir avant dîner. C’est enfin, dans la mise en scène, trouver l’équilibre dans ce monologue entre la musique intérieure et l’adresse directe au public que la comédienne prend à témoin : au-delà de son histoire particulière, Claire nous parle « d’amour et de ce qu’on en fait». Elle parle aussi de nous et à nous tous.
Jade Duviquet
Il y a six mois, invité par Murielle Magellan son auteur, j’ai assisté par curiosité à une lecture du seule en scène Il y a (trop ?) longtemps que je t’aime.
J’ai été amusé d’abord puis enchanté voire hilare souvent par le jeu de Martine Fontaine, la comédienne. Sa présence comique couplée à une vraie gravité, interpelle par la pertinence de l’écriture et la modernité du texte de Murielle qui raconte la vie d’une femme d’aujourd’hui tiraillée entre sa vie de couple, après tout pas si mal que ça, et ses envies phantasmatiques qui pourraient pourtant se réaliser...
Au fur et à mesure de cette lecture je me disais en moi même : «Bon sang il faut vraiment que ce spectacle voit le jour !...»
Je suis ravi que nous y soyons arrivés avec la fine mise en scène de Jade Duviquet et à la «Manufacture des Abesses». Tout s’y prête merveilleusement.
Jérôme Martin
7 rue Véron 75018 Paris