Dans le cadre de Paris quartier d'été.
Pourquoi La Curva ? Parce que la ligne droite, c’est très surfait. S’il avait suivi la ligne droite, Israel Galván aurait pu être le plus célèbre des danseurs de flamenco. Préférant la courbe, il est devenu le plus célébré des danseurs inclassables. Filant vers des territoires inconnus, empruntant au buthô comme au football, il se fait tour à tour toréador et porteuse de pain, discobole et cancrelat, Gene Kelly et Joseph K.
Pour ce nouveau spectacle, il s’est entouré d’un trio de bêtes de scène : le virtuose du compas Bobote, la chanteuse Inés Bacán, incarnation émouvante de la tradition du cante jondo gitano-andalou, et la pianiste Sylvie Courvoisier, aventurière des musiques contemporaines, suisse émigrée à New York, comparse de John Zorn, et compositrice, entre autres, d’un concerto pour guitare électrique.
Le résultat est beau comme la rencontre inespérée, au coeur d’un no man’s land, de deux maîtres du rythme et de deux maîtresses des cordes. L’ombre d’un café de hasard, où l’on se roule soi-même dans la farine, où l’on ne veut pas être seul parce qu’on a personne à qui penser, où toutes les errances trouvent une place.
Tout semble avoir été dit sur Israel Galván. Mais saviez-vous que Carole Fierz, aujourd’hui codirectrice de Paris quartier d’été, avait joué un rôle important dans sa carrière, notamment dans l’élaboration de La Curva ? En 2004, elle a pris en main la carrière d’un jeune danseur alors quasiment inconnu hors d’Espagne, Israel Galván, découvert pour la première fois à Paris, rappelez-vous, en 2007, dans la Cour du Palais-Royal.
Autant de bonnes raisons de lui donner la parole.
« La première fois que j’ai vu Israel Galván, il était un parmi d’autres dans la compagnie de Mario Maya, brillant, mais cantonné à une reproduction à l’identique d’une chorégraphie où tous sont à l’image du chef de la troupe. Je me souviens d’un jeune homme filiforme mais déjà tellurique. Dès 1998, il prenait ses distances et tous les risques en créant ¡ Mira ! Los zapatos rojos, première signature d’oiseau rare. Et en 2004, il présentait Arena dans un théâtre andalou, qui, pour parler pudiquement, était un peu en déshérence.
Toutes les conditions étaient réunies pour une foirade totale : une partie de la distribution manquait, les micros ne marchaient pas, des machinos traversaient le fond de la scène pendant le spectacle… Et au milieu de tout ça, dans une concentration absolue, rendant toutes ces avanies magiques, dansait Israel Galván dans toute sa splendeur… Je suis allée le voir à l’issue du spectacle et lui ai proposé de m’occuper de sa diffusion internationale.
Les choses les plus simples sont souvent les plus difficiles à raconter : après quinze ans passés à travailler dans l’univers du flamenco, je n’avais pas le moindre doute d’être face à un génie de la danse.
Mais la plupart des grands théâtres, en France, en Espagne comme dans le reste du monde n’en voulaient pas. Les structures de danse contemporaines ne voyaient pas en Galván au-delà du flamenco, et les Flamencos, eux, le voyaient souvent comme un traître à une tradition dont ils avaient une vision figée… Alors que c’est la nature même d’une tradition que d’évoluer, sinon on demeure dans le souvenir. Il faut garder à l’esprit qu’il y a six ou sept ans régnait encore une impossibilité à associer les mots flamenco et contemporain.
Galván était rejeté par les puristes, et dans le même temps, cantonné par les avant-gardistes à la danse ethnique, surtout dans le nord de l’Europe. Alors qu’il semblait évident qu’il pouvait apporter un renouveau non seulement au flamenco mais aussi à la danse contemporaine. Il faut imaginer la chose : que le renouveau soit porté par un artiste flamenco, Gitan, Andalou, venant d’une périphérie, il était pratiquement impossible que le centre l’admette. On sentait une méfiance, une incapacité à reconnaître qu’une source vive coule là où on ne l’attendait pas.
Finalement, comme pour de nombreux artistes, c’est la France qui a été sa véritable terre d’accueil : le public, le bouche à oreille puis la presse ont fini par le consacrer, mais il a fallu sept ans pour que les plus grandes institutions le reconnaissent, ce qui est à la fois long et court. Une autre raison de l’immense succès d’Israel Galván aujourd’hui, c’est un parcours intègre : il a suivi sa voie en toute liberté, respectant toutes ses intuitions, sans jamais se poser en rebelle ou en avant-gardiste mais en l’étant simplement naturellement. Rappelons qu’à ses débuts de chorégraphe-danseur, il vidait les salles ! Mais il a toujours eu une imperméabilité intelligente au goût d’un public qui préfère reconnaître plutôt que découvrir.
La Curva, c’est une nouvelle étape de sa douce intransigeance : être là où on n’est pas attendu, mais sans préméditation. Chaque spectacle dévore le précédent et le proclame, il n’y a qu’à considérer leur titres : La Métamorphose, L’Âge d’or (La Edad de Oro), Tabula Rasa, La Fin de cet état des choses (El Final de
Este Estado de Cosas), et maintenant… La Curva. Continuant dans sa déconstruction de l’association de la guitare, du chant et de la danse, il a émis le souhait de remplacer la guitare par un piano très percussif et contemporain. Je lui avais déjà fait rencontrer Inés Bacán qui avait intégré la distribution de ses deux précédents spectacles, mais il s’agissait d’élargir le cercle andalou. Je savais pour ma part qu’il y avait chez Sylvie Courvoisier assez d’envergure musicale et de dinguerie aussi pour se frotter à l’univers d’Israel, tout en gardant son propre cap.
Galván jamais ne pourra ni ne voudra se séparer du flamenco. Dans la dissonance, dans les risques, dans une façon d’aller à l’essentiel, des choses inhérentes à la nature même du flamenco, il puise les moyens d’aborder d’autres univers. Peut-être La Curva est-elle là. » Carole Fierz
Square de l'Opéra-Louis Jouvet, 7 rue Boudreau 75009 Paris