Rituel grotesque ou essentiel : la remise des médailles. C’est l’heure. On s’agite, on palpite. Au micro vont se succéder les employés de l’entreprise Bisson, substitution du noyau familial. Une petite dame presque retraitée, le directeur de la sécurité, le responsable de la communication, un ouvrier, une secrétaire affolée qui trotte après son statut d’assistante de direction. Discours, allocutions, remerciements. On est ému, on est déçu, on est fâché. Une salle des fêtes.
Les huit comédiens gravissent l’estrade bordée d’un tissu bleu national aux imperfections visibles. Le son déraille, les mots manquent, les fous rires menacent et la colère gronde, derrière, du côté des ouvriers laissés sur le carreau. Rien n’est jamais parfait dans ces cérémonies vitales et funestes. Mais chacun s’y révèle, comme en famille, à Noël.
Psychiatre et romancière, auteur primé de La Compagnie des spectres et du Petit traité d’éducation lubrique, Lydie Salvayre s’immisce dans les travers du monde du travail, quand la direction rappelle à ses employés les fondamentaux : « Privatisez votre vie privée ! », « La vie au travail, le travail à vie ! ». Les victimes sincères de la société de profit se prennent de plein fouet le pathétique du rituel. Et on finit tant bien que mal dans une chenille collective, gueulant plus ou moins ivre sur un air populaire.
Après notamment Se souvenir des belles choses au cinéma, ou Des gens d’après Raymond Depardon au théâtre, Zabou Breitman, aujourd’hui cinéaste et metteur en scène, orchestre la remise des distinctions. Elle ponctue l’instant guindé de glissements cocasses, et fait participer activement le public à l’événement.
Chacun se reconnaît, s’y retrouve. Car nul n’est à l’abri de ce monstre social et séducteur : la gratification.
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