Entre l'art et la matière
Immersion dans l'essence du corps humain
Bel objet avec une scénographie simple
Des mots aux gestes
Seize tableaux
A partir de 6 ans.
Auteurs d’une danse forte au lyrisme avéré, Claude Brumachon et Benjamin Lamarche nous dévoilent Le Prince de verre, dernier ballet en date du Centre Chorégraphique National de Nantes. Une oeuvre comme la promesse d’un poème chorégraphique.
Depuis 1980, Claude Brumachon et Benjamin Lamarche vont de paire, l’un chorégraphe, l’autre interprète. La reconnaissance au concours de Bagnolet, les succès répétés, de Texane à Folie, du Festin à L’Histoire d’Argan le visionnaire, ils partagent tout. Le Prince de verre, au départ roman de Benjamin Lamarche, conte l’histoire de Samien découvrant qu’il est de verre, justement. Accompagné de Tomalolisse, il va partir à la recherche de ses nouvelles origines.
D’une « danse comprise entre l’épaisseur du corps et l’immatérialité de l’esprit », Claude Brumachon et Benjamin Lamarche font le véhicule de cette aventure hors du commun entre l’art et la matière.
Samien, un jeune garçon de seize ans, découvre brusquement qu’il est en verre alors qu’il ignorait jusqu’au nom de ce matériau interdit. Réalisant cruellement sa différence qui le rend autre, fragile, acéré, transparent et lumineux, Samien part sur les traces de cette nouvelle matière, accompagné de Tomalolisse, fils de souffleur de verre.
Au cours d’un voyage qui se situe entre réel et fantastique, Samien découvre que la beauté de l’art s’accompagne de mystères ancestraux dont il est lui-même une pièce maîtresse en même temps qu’il comprend l’immensité du non-dit qui l’a accompagné toute son enfance.
La puissance du secret se fracasse contre la détermination de Samien et la sagacité de son compagnon. Un destin singulier les emporte au-delà de leur but premier.
Samien découvre le monde ; des viscères à la peau, du sang aux poils, par le toucher et la découverte des sens, du chaud et du froid, il appréhende et comprend, par l’expérience, que tout passe par le corps.
Le Prince de verre est une immersion dans l’essence du corps humain ainsi que dans les blessures du non-dit.
Cette création prend racine dans l’écriture de Benjamin Lamarche. Imaginé au cours d’un voyage dans la montagne, Le Prince de verre explore la matière, les matières. J’imagine une scénographie faite d’un possible changement de couleurs, que le public soit baigné dans des sensations de pierres, de marbres, de rubis, de terres, d’eaux, de chairs, de tissus, de fer, de lazulis, de verres, d’ambres et d’améthyste, d’air et de sable, de coton et d’argile...
Pièce d’une heure environ, aux rythmes changeants, initiatique, épique, le voyage de deux jeunes garçons au milieu de la connaissance de l’apprentissage de la vie, des vies. Amoureux du geste et du déplacement, deux petits bonhommes en quête d’absolue vérité qui traversent en kaléidoscope le chaos des caractères. Rencontres improbables de personnages matières qui tissent des réponses à l’inconnu, un secret bien caché, un doux mystère.
L’idée du Prince de verre est un très bel objet avec une scénographie simple.
Huit portes barrent la scène elles s’ouvrent et se ferment à volonté, laissant apparaître suivant le
tapissage des couleurs des sensations différentes, agressives ou douces, elles autorisent les
rêves les plus colorés ou noir et blanc. Les portes peuvent grillager le fond de scène, faire
apparaître un désert, une grotte, un palais, une maison de marbre, un carrelage, un marché de
viande, une mer, un vide, les projecteurs.
Les costumes et les maquillages doivent être très précis sur des détails futuristes, voire bandedessinée.
Six plaques de verre au plafond terminent la maison, diagonale exposée en jeu avec les huit
portes matières, comme des panneaux solaires.
Il faut imaginer un coin de repli bleu ciel quelque part - espace lit ou fourrure, quelque chose de
ouateux.
Des objets traversent et glissent dans l’espace. Une roulotte, une gondole, des voitures noires
d’angoisse. L’arrivée d’une rivière. Des trônes de souverains.
Claude Brumachon
Le Prince de verre est un livre, une histoire inventée et écrite à mesure de son déroulement. C’est-à-dire qu’elle s’est ouverte devant les mots comme se racontant d’elle-même, se laissant découvrir. Peu d’idées préconçues si ce n’est celle de la matière, des matières.
Le départ de cette immersion dans l’écriture remonte assez loin dans les errances que Claude Brumachon et moi-même nous nous accordons le temps d’une évasion. Errances qui nous entraînent aussi bien dans un espace géographique où la nature et les grandes villes s’entrecroisent et se complètent, que dans un espace imaginaire sans limites. Des randonnées dans l’esprit et sur la terre pendant lesquelles s’élaborent des ballets, des histoires, des discussions profondes et des délires légers, délicieux, artificiels et artistiques, toujours artistiques. La vision d’un univers où le précieux s’unit au trivial, l’épaisseur et la pesanteur s’accordent avec l’envol et l’aérien, les contrastes se dessinent en des arabesques contradictoires. Toutes ces paroles appellent le mouvement, finalité de tous ces temps précis et irréels, temporels et spirituels, infinis, mais avant toute chose, destiné à la scène.
Le Prince de verre a donc été conçu au cours d’un été, dans un fleuve de paroles et d’idées ; ont suivi des jours et des années d’écriture. Le livre, édité aux éditions Bénévent est sorti en mars 2006. Mais l’idée d’une mise en scène chorégraphique était déjà sous-jacente, presque évidente.
On connaît le travail de Claude Brumachon qui s’est déjà penché sur des histoires pour en faire
des chorégraphies — Tolkien dans Aventure extraordinaire, Jules Vernes dans Les Chemins
oubliés — ou sur l’oeuvre d‘un auteur pour le transporter en danse — Molière dans Histoire
d’Argan le visionnaire, Kafka dans Le Témoin, Boris Vian dans Rebelles... Évènements
chorégraphiques d’où la narration de l’écriture s’évapore dans une réminiscence subliminale de
l’oeuvre littéraire. Restent le sous jacent, la matière des corps et des éléments propres au
déroulement chronologique du conte. La pièce chorégraphique conserve la chronologie pour en
extraire l’image, l’imaginaire réinventé, redécouvert à travers les danses, les objets, les décors.
Transcrire le bouger, la chair des protagonistes de l’aventure est une introspection propre aux danseurs de Claude Brumachon. Il s’agit là non pas de jouer un personnage, ni même être ce personnage mais plutôt de se glisser dans ce que le geste, le muscle, la peau, ce qui fait l’humain dans son corps et au-delà même du corps physique, dans son bouger, sa relation à un espace fantasque, crée la personne, la façonne, unique et personnelle et paradoxalement universelle parce qu’appartenant au monde.
L’histoire du Prince de verre est avant tout une histoire de matière je l’ai dit. La matière des corps au premier abord mais aussi celle de nos désirs, de nos refus, de nos souffrances, de nos aspirations, bref, la matière humaine.
Je cherchais à rendre le mot concret, qu’il soit presque une entité palpable, qu’il soit pris dans un enchevêtrement de lettres et de phrases, de ponctuations et de paragraphes, en fin de compte qu’il soit pris dans une chorégraphie de paroles. Tout comme l’individu dans le conte est défini — mis à part Tomalolisse — par sa matière, l’individu est, par essence, dans son mouvement, dans son geste. Son apparence décrit l’invisible, son habit souligne sa pensée et lorsque des mots apparaissent ils n’étonnent pas puisqu’ils ont déjà été suggérés par ce que l’on connaît de la personne qui les dit.
L’histoire du Prince de verre est un conte. La recherche de ce que nous sommes. Comment se comprendre soi-même si on ignore tout de sa propre substance.
Du conte écrit, de l’aventure il ne sera pas forcément question dans l’oeuvre chorégraphique, et la lecture du livre, si elle est importante, n’est pas obligatoire pour assister au spectacle du Prince de verre. Le récit se comprend dans l’évolution des danseurs, dans leur investissement, dans la scénographie. Comprendre n’est pas expliquer et toute sensation donnée par la danse est un succès dans la communication des corps entre eux. Ce que l’écrit a développé est transmis par la danse.
Une danse comprise entre l’épaisseur du corps et l’immatérialité de l’esprit.
Benjamin Lamarche
Idées jetées sur le papier en septembre 2008 en amont de tout mouvement, idées départs, idées matrices qui suivront leur course, évolueront dans la pensée, changeront au fil des impossibilités et des nouveautés qui s’y grefferont. Sensiblement l’image qui se dégage de ce premier essai de décor restera. Il faudra la parfaire et l’assembler avec la danse. C’est le propre de la création.
Sur le plateau vide en fond de scène un mur fait de huit ou dix portes de quatre mètres de haut et un mètre de large. Elles pivotent sur un axe central et étant toutes reliées les unes aux autres, en ouvrir une commande toutes les autres.
Ces portes sont recouvertes de matières, couleurs, dessins, qui changent à chaque tableau par le truchement du pivot. À travers peu d’indications ouvrir le public à s’imaginer l’histoire, le déplacement, l’intensité de l’endroit. Qu’il trouve Le Prince de verre dans le dédale des matières : premières, précieuses, naturelles, travaillées, raffinées et délicates ou brutes, grossières, lourdes, rudimentaires, usuelles et utiles, communes ou triviales ...
Seize tableaux, seize scènes dont l’atmosphère se dégage de la toile de fond qui s’affiche sur les portes. Elle peut être dessin, projection lumineuse, trompe-l’oeil ou matière. Elle suggère l’espace, son état.
1, Place du Trocadéro 75016 Paris