L'argument
Tilly et Les Trompettes de la Mort
Presse
Les personnages
Notes de l’auteur sur les personnages
Note de mise en scène et de scènographie
Annick et Henriette-Alexane ne se sont pas revues depuis des années. Contrairement à Henriette qui n’a qu ‘un rêve : briller à l’écran ou sur scène dans la capitale, Annick reste attachée à sa Bretagne natale. Elle mène à Paris une vie solitaire et sans histoire, dans son studio meublé sur catalogue. L’intrusion d’Henriette, puis de son ami, Jeff, dans l’intimité d’Annick, va distiller le poison de la solitude et des différences sociales. Le miroir se fissure et se brise, mettant à nu des blessures profondes.
Tilly nous donne à voir et entendre, dans le quotidien le plus banal, des hommes et des femmes usant insidieusement de méthodes qui, déplacées dans un cadre social ou historique, déclencheraient de leur part indignation et protestation. Ce ne sont pas des bons ou des méchants mais des êtres possédés par leur rôle social et dépossédés de la faculté de s’entendre et de se voir agir. Voilà un théâtre qui nous ressert en quelque sorte la réalité, sans nous conditionner, mais fait appel à notre vigilance, à condition de pouvoir déceler dans notre quotidien, le théâtre de toutes les cruautés.
Comment vous est venue l’idée d’écrire cette pièce ?
- "Un jour, j’étais chez moi et par la fenêtre j’ai vu une femme dans la rue qui ressemblait étrangement à quelqu’un qui avait fait partie intégrante de l’univers de mon enfance en Bretagne et qui s’était suicidée quelques années auparavant à Aubervilliers. Quand on l’a retrouvée, cela faisait trois semaines qu’elle était morte."
Les personnages sont-ils inspirés de la vie réelle ?
-"Oui et cela n’a pas été difficile. Chaque personnage ne représente pas une seule personne, mais plusieurs à la fois. Ce sont les situations qui sortent de mon imaginaire, les personnages sont le fruit d’une observation de mes congénères et de moi-même."
Vous êtes originaire de Bretagne. Quelle place joue cette région dans votre inspiration ?
-"J’y suis né, j’y ai vécu les vingt premières années de ma vie, c’est donc tout à fait logique que je m’en inspire. Mais si j’étais né en Corse ou dans le Nord, l’histoire eut été la même."
Le choix du titre a-t-il précédé ou suivi l’écriture de la pièce ? Pouvez-vous nous en dire un mot ?
-"Il est venu très vite, bien avant que je commence à rédiger la pièce. Je ne l’ai pas cherché, il s’est imposé à moi."
Votre propos est-il de dénoncer les dérives de la société moderne et la difficulté d’une véritable communication ?
-"Je ne dénonce rien. Je constate, c’est tout. Chacun de ces personnages est avant tout tourné sur lui-même. Tous les trois sont dans une grande solitude. Mais pour Annick, c’est plus délicat. Socialement, elle n’est pas du bon côté. Elle est vraiment très seule."
Le contexte des années 80 est-il important pour avoir une bonne lecture de la pièce ?
-"Elle a été écrite dans ces années-là, mais elle pourrait très bien se passer aujourd’hui. Il suffirait de changer deux ou trois choses temporelles. L’être humain n’a pas changé en 20 ans."
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’accorder les droits aux comédiens de cette jeune compagnie ?
-"Leur propre envie, tout simplement."
La pièce Les Trompettes de la Mort a été mise en scène par l’auteur et créée au Théâtre de la Salamandre à Lille, en 1985, puis reprise pendant trois mois au Théâtre Paris-Villette en 1986. Elle a fait l’objet d’une tournée de deux ans en Europe : Berlin, Varsovie, Prague, Budapest et Lisbonne. Elle a été jouée avec une nouvelle distribution en 1996 au théâtre de la Coursive à la Rochelle ; en tournée pendant deux ans, puis au Théâtre de la Colline en 1997 (toujours dans une mise en scène de l’auteur). Éric Guérin, le comédien qui interprétait alors le rôle de Jeff et qui avait réalisé la maquette du décor, a repris la mise en scène au sein de la compagnie Accords et Ames. Proche de Tilly, il a su respecter son écriture, son univers avec un regard attentif et néanmoins personnel.
« C’est une pièce violente. Mais pleine de tendresse aussi. Car le personnage m’est cher et familier même si je ne défends là-dedans aucune cause « bretonnante ». Elle est morale aussi, mais sans idéologie. » Tilly, Le Provençal, 15/03/97
Les Trompettes de la Mort est « un miroir qui nous renvoie la tragédie de la vie ». Philippe Tesson – Le Figaro Magazine, 07/12/96.
« Non pas férocité, ni même cruauté, mais violence qui s’affirme jusqu’à la rupture, dans la banalité des jours, dans la pauvreté existentielle des êtres. »
« Les hommes et les femmes de Tilly ne sont ni pires ni meilleurs que d’autres. Ils existent tout simplement. »
« Il n’y a point ici d’arrière-pensées ni politiques ni critiques, encore moins morales. Seulement un regard porté sur de petits mondes isolés et perdus. Rejetés le plus souvent… Jamais les rapports de classe dans leur fatalité ne furent plus clairement indiqués. Tilly n’en tire pas de conclusions, c’est à nous de les tirer. » Pierre Marcabru Le Figaro, 08/12/96
« Ni caricature, ni psychologisme, mais un travail inclassable dont les silences sont autant de clefs pour appréhender, bien au-delà des mots, les ressorts intimes des personnages. » « C’est aussi l’intérêt du théâtre de Tilly que de nous renvoyer le malaise de ses personnages. Jusqu’à l’insupportable ». Letizia Dannery, La Marseillaise, 20/03/97
« Le propos fustige autant la bonne conscience de gauche que le parisianisme hautain. » « On découvre qu’ouvrir une porte, pousser un tiroir, peut révéler des abîmes sans fond ». La République, 05/12/97
« Tilly… n’accuse ni ne dénonce. Il décrit les choses, il les rêve, avec une abstention féroce ». Frédéric Perney, Le Figaro, 12/12/96
Tandis qu’Annick reste attachée à sa Bretagne natale -elle est venue à Paris pour avoir du travail… et suivre son patron- Henriette renie totalement ses origines et ne rêve que de briller au théâtre ou à l’écran. Au fond, elles souffrent toutes deux d’une grande solitude. Leur façon d’y faire face est différente, mais dans les deux cas, il s’agit plus d’une fuite devant la réalité que d’une véritable confrontation.
Les destinées d’Annick et d’Henriette font écho à bien des vies. Combien de provinciaux n’ont pas échoué à Paris par nécessité plus que par choix ? Combien ne souffrent pas d’un sentiment douloureux d’isolement au sein de la foule brutale des anonymes ? Engourdis par la fatigue, prisonniers d’un rythme infernal, ils dérivent jusqu’à oublier leur identité et leurs rêves. Ils se mettent alors à vivre par procuration les relations qu’ils ne peuvent nouer au quotidien.
Le théâtre de Tilly ne crée pas une fiction mais, pour reprendre les termes de Bond : il « ajoute de la réalité à la réalité ». Le phénomène de catharsis vécu par les spectateurs installe un véritable jeu de miroirs dans lequel tout le monde se retrouve et se perd face à soi, aux autres, et en soi-même.
Le personnage masculin intervient un peu comme l’opérateur du mal, celui qui participe à la mascarade fatale. Le suicide d’Annick est d’autant plus terrible que son échec peut le rendre ridicule. Puisqu’elle ne peut même pas choisir sa mort, Annick est condamnée à vivre, si l’on peut appeler ainsi cette existence terne dénuée de toute chaleur humaine.
Henriette aussi a ses blessures. L’absence de sa fille, Malvina, qui « vit en Afrique avec son père », et sa dépendance financière vis à vis de ses parents qui lui renvoie ainsi l’image d’un échec.
Aucun des personnages n’est sympathique, mais chacun est familier dans la mesure où il nous ramène à une part d’ombre.
Annick
La quarantaine. Dernière d’une famille de trois enfants. Fille de Germaine le Bach, ménagère, et de Pierre Nédélec, ouvrier, décédé.
A passé les vingt premières années de sa vie en Bretagne, dans son village natal. Ecole communale jusqu’au BEPC. Etudes de secrétariat à la ville la plus proche où elle se rend en car chaque jour. A la fin de ses études, elle obtient une place de secrétaire à la papeterie du bar du Pavillon. Cette année-là, son frère Jean est tué en Algérie.
Annick a vingt ans quand l’usine ferme. Certains ouvriers (les plus jeunes) sont réembauchés dans la Sarthe, mais pas les secrétaires : chômage. Son père effectue des travaux de jardinage chez quelques notables du village. Les murs de l’usine et les maisons ouvrières attenantes ont été vendus à une société belge et les ouvriers expulsés. Un matin, Annick trouve son père mort, pendu à la porte de la buanderie. A la suite de cet événement, la commune a procuré à la mère un travail d’aide-ménagère, à la maison de retraite du village. Quelques mois après Annick part pour Paris, comme secrétaire dans une petite entreprise que gère Bernard, ancien camarade de régiment de son frère.
Elle y travaille depuis bientôt vingt ans, plus de huit heures par jour, sans qu’on le lui demande. Elle aime beaucoup son patron, en est peut-être même secrètement amoureuse.
Tous les vendredis soir, elle va en Bretagne, et tous les lundis matin revient à Paris. Pendant son mois de congé, elle fait un voyage organisé de deux semaines (Sicile, Canaries, Baléares, Madère, Grèce…) Les deux autres semaines, elle reste près de sa mère.
A Paris, elle n’a pas d’amis. De temps en temps elle va au cinéma avec une collègue, ou manger dans une pizzeria. A son travail, on la surnomme la Vieille Fille, mais elle « s’en fiche ». Elle préfère vivre seule, « plutôt que de se disputer comme font les couples » qu’elle voit autour d’elle.
Henriette-Alexane :
Deux ans de plus qu’Annick, native du même village qu’elle. Fille de Jeanne Guillou, sans profession, et de maître Paul Bothorel, notaire. A un frère plus jeune qu’elle, médecin à Brest. A fait ses études primaires chez les religieuses de son village, puis ses études secondaires, comme interne à l’institution Bossuet de Lannion.
Après son bac philo, elle s’inscrit à la faculté de droit de Rennes. Elle y reste deux ans. Parallèlement, elle suit des cours d’art dramatique au conservatoire de la ville. Le droit ne la passionne pas, ‘elle sera actrice’. Elle décide de monter à Paris pour suivre les cours d’une école de théâtre que dirige Clarence, une amie de la sœur de sa mère. Les premiers temps, elle habite à Auteuil chez sa tante. Très vite, grâce à Clarence, elle trouve des petits rôles au théâtre et à la télévision : Henriette Bothorel devient Alexane Horel. Elle tombe amoureuse d’un camarade de cours, ils se marient, ont une fille : Malvina.
Mai 68 lui fait découvrir la politique et la passion. Elle se sépare de son mari et de sa fille pour vivre avec Alain, comédien engagé dans un mouvement d’extrême gauche.
Dix ans plus tard, elle rompt avec la politique et l’amour pour se consacrer à sa « carrière ». Elle est toujours sur des « coups », fait un peu de cinéma.
Elle rencontre Jean-François, critique de théâtre dans un journal de gauche. Alexane travaille davantage (jamais de premiers rôles), elle est complètement intégrée dans son milieu qu’elle adore. Sa rencontre avec Jeff est « super importante », « c’est un mec super intelligent et qui baise bien ».
Malvina vit avec son père, maintenant attaché culturel en Afrique. La fille et la mère ne se voient jamais.
En vingt ans, Henriette-Alexane n’est retournée qu’une seule fois dans son village natal pour l’enterrement de sa grand-mère.
Elle rencontre ses parents soit à Paris, soit à la Baule.
Jean-François
Dit Jeff. La trentaine dynamique. Look : “Paris-Bastille”. Aîné d’une famille de trois garçons, parents divorcés : mère antiquaire rue Jacob, père avocat de ‘gauche’. Né à Paris, c’est un enfant de Saint-Germain-des-Prés.
Après le jardin d’enfants, il rentre à Stanislas où il restera plus de dix ans. C’est un élève vivant, brillant, turbulent, parfois même arrogant. Education familiale libérale, bohème, bourgeoise. Il a dix ans quand ses parents se séparent. Il reste rue de Lille avec sa mère et ses frères. Son père emménage rue de Verneuil en compagnie d’une actrice connue qui aurait pu être la sœur jumelle de Michèle Mercier, l’inoubliable interprète d’Angélique, marquise des Anges. Au printemps de l’année 1975, il quitte la rue de Lille pour s’installer rue de Verneuil où on le comprend mieux, « Angélique » ayant fait place à Martine, jeune avocate de gauche.
L’année suivante, tout en faisant philo, il assiste à de nombreux meetings et réunions d’extrême gauche. Il fait la connaissance de plusieurs journalistes, musiciens et acteurs.
L’été, après avoir ‘brillamment’ passé son baccalauréat, il part seul pour les Etats-Unis : deux mois à New York, six en Californie, et dix-huit mois au Mexique. Il y fait différents petits boulots. Au Mexique, il vit plus d’un an dans une communauté théâtrale à majorité américaine. Découverte des paradis artificiels. Il écrit des articles sur le théâtre underground américain qui sont souvent publiés en France.
Quand il rentre rue de Verneuil, il a tout juste vingt ans. Il écrit une pièce de théâtre qui ne sera jamais jouée : L’Absence des mots (monologue intérieur d’une schizophrène).
Petit à petit, il réussit à se faire une place comme critique dans le monde du théâtre. Il collabore à plusieurs revues, puis trouve une place fixe dans un quotidien.
Il s’installe dans un loft faubourg Saint-Antoine. Il vit beaucoup la nuit. Il est toujours là où il est bon d’être vu.
La mise en scène des Trompettes de la Mort s’attache à un souci de réalisme. Le public devient ainsi témoin malgré lui de ce qui se passe chez Annick, comme si son appartement était un aquarium où les êtres peuvent être observés à leur insu. Les spectateurs participent par leurs réactions à la machine infernale. Le rire devient amer. Il n’y a pas d’un côté les bons, de l’autre les méchants, non, car chacun des trois personnages a ses failles et des aspects peu séduisants. Il ne s’agit pas de juger ou prendre parti, mais de rendre compte tout simplement.
La pièce de Tilly, Les Trompettes de la Mort, est écrite avec beaucoup de précision. Les indications de mise en scène soulignent régulièrement les actions des personnages et, comme dans les pièces de Feydeau, leurs déplacements. Elles sont autant d’invitations à ne pas trop faire le malin au risque de priver la mécanique dramatique d’un rouage essentiel. A la fin du texte se trouvent les CV de chacun des personnages (voir p. 7-8 « Notes de l’auteur sur les personnages »).
Pour commencer, accepter que chez Tilly, le décor joue un rôle essentiel. On pourrait même dire primordial. Il participe à l’action et influe directement sur le comportement des personnages.
Dans Charcuterie Fine, l’action se situe dans l’arrière-boutique qui est aussi la salle à manger et la cuisine. C’est le cœur de la maison que l’on peut voir palpiter au rythme de la journée. Le décor d’abord s’éveille -odeur de café, c’est l’aube- puis il se remplit de celle du déjeuner qui se prépare. A l’heure du goûter, la lumière s’y fait plus ténue pour laisser la place à une obscurité angoissante au moment du drame final.
Dans Minuit Chrétien, il représente une maison en coupe et permet ainsi de voir ce qui se trame. Il est le révélateur des rouages familiaux, des trahisons, des complots que nous pouvons vivre simultanément. Le spectateur a sous les yeux tous les éléments du conflit. Les trajets du père, de la cave au grenier, nous renseignent sur son existence, son obstination, son besoin d’isolement. Encore une fois, le décor raconte les personnages et les modèle.
Dans Spaghetti Bolognése, l’intérieur est composé de hautes tentures et portes vitrées qui en imposent. La symétrie des espaces, la sobriété des lignes et leurs proportions ont, là aussi, une influence sur le corps des comédiens. Ils sont comme « hissés ».
Le décor de Y a bon Bamboula laisse peu de place aux objets inutiles, décoratifs. La maison est avant tout fonctionnelle et vise au confort immédiat (il y a un petit bout de véranda qui permet de faire la sieste au soleil ; le transat est moche, de traviole et tout le monde s’en fout).
Mais c’est sans doute dans Les Trompettes de la Mort que le décor joue le rôle le plus important car il est l’objet transitoire d’un « viol ». Tilly nous fait pénétrer dans l’univers d’Annick Nédélec. Elle habite dans le 13 e arrondissement à Paris, au 7 ème étage, un petit studio décoré avec soin dans un style qui est le prolongement de sa garde-robe. Tout est coordonné, calibré, rien ne dépasse. Cet espace renferme les secrets, les souvenirs, l’intimité du personnage.
La bande-son, réalisée par Franck Etenna, fidèle aux didascalies de Tilly, ajoute au réalisme de la pièce. Et surtout, elle donne à la mère d’Annick la voix incomparable de Jacqueline Jéhanneuf.
Incroyable ! Tout est si réaliste que l'on se fait avoir. Le casting est parfait, la mise en scène sans faille, le décor, plus vrai que nature. Bruits, odeurs, mots et silences. On est dans la vie. Très vite, je n'ai pas vu des personnages, mais des personnes. Je les ai suivis, j'y ai cru, je me suis reconnue un peu dans chacun d'eux. Tout se passe en temps réel et la tension se fait de plus en plus palpable. J'avais l'impression que mon cour allait exploser. Un vrai moment de vie. J'ai juste envie de dire : merci !
Incroyable ! Tout est si réaliste que l'on se fait avoir. Le casting est parfait, la mise en scène sans faille, le décor, plus vrai que nature. Bruits, odeurs, mots et silences. On est dans la vie. Très vite, je n'ai pas vu des personnages, mais des personnes. Je les ai suivis, j'y ai cru, je me suis reconnue un peu dans chacun d'eux. Tout se passe en temps réel et la tension se fait de plus en plus palpable. J'avais l'impression que mon cour allait exploser. Un vrai moment de vie. J'ai juste envie de dire : merci !
26-28, rue de Meaux 75019 Paris