Deux femmes se retrouvent sous le stade San Paolo à Naples autour d’un mystérieux corps. Commence une véritable enquête maratho-maradonnienne où se croisent des personnages haut et bas, placés, élevés, rencontrés, interrogés et montrés, chacun dans son rôle.
Le théâtre est un art en mouvement qui doit se répandre géographiquement et qui n’est pas réservé à un groupe. Et pourtant, comment bousculer les préjugés et créer une communion populaire ? En cela, le football est le pendant contemporain de la tragédie grecque. Alors, à l’image du Flamenco, mélangeons les influences et enquêtons sur le mythe Maradona. Faust invoquait les esprits et rencontrait Méphistophélès, Dante se perdait dans une forêt sombre pour rencontrer Virgile mais qui guide Maradona ? Qui lui fait tirer la langue et lui indique la trajectoire de la balle ? Qui le fait entrer par extase et le transforme en poète maudit ? Questionnons notre rapport au sacré à travers cette figure populaire. Quand le prix d’un transfert atteint des sommes abstraites : quels rapports entretiennent les supporters avec leurs idoles ? Quel phénomène peut élever un être au rang de héros puis le faire tomber au plus bas ? Est-ce le fruit du destin ?
Dès son arrivée à Naples, l’angelot au sourire gourmand et à la chevelure bouclée s’est arrêté net en pénétrant dans le stade San Paolo. Était-ce la prophétie d’une histoire passionnelle mêlant amour et haine où la naissance d’un Dieu du stade dans cette ville « Femme » ? Maradona était-il le vecteur « du Duende » à travers lequel le peuple s’exprimait ? Pour cette enquête, deux femmes seront réunies sur le plateau :
- Alicia : descendante directe de la sirène Parthénope, qui n’a pas réussi à détourner Ulysse et qui a fondé Naples. (Ombre mortelle de la belle résonance des sphères ; des muses et des songes diaboliques)
- Signorina Falla : descendante du héros des deux mondes : mystérieuse et inexplicable, celle qui ne peut répondre aux questions. (Véritable Cybèle)
Michel Serres nous dit que le ballon n’est pas un objet de réflexion. Qu’il sert à faire bouger le corps. Qu’il est un traceur de relation. Plus il y a de passes, plus l’équipe joue et plus l’équipe existe. Le ballon est l’auteur d’un contrat social. À nous Artistes de faire la passe et de propager nos questionnements. Le ballon n’est pas une idée, il est une matière qu’il faut maîtriser. Il est le dépositaire de l’esprit d’équipe. Pour lui, les joueurs sont prêts à se transcender.
Cette enquête nous mènera dans un parking, transformée en temple païen par notre Cybèle. Point de rencontre entre la Terre, le Ciel et l’Enfer, ici, nos deux figures féminines s’interrogeront, aidées par les chorégraphies et la musique, sur cette force qui pousse Maradona à jouer sa vie sur un terrain et que García Lorca nomme le « Duende ». L’humour sera le système rénal de ce nouveau monde féminin et ironique (descendant du monde « historique » détruit par les violences qu’il a engendré). Il filtrera et épurera le propos car les passions ne sont pas stupides et lui seul les empêche de le devenir. Le bleu Napolitain laissera place au rouge vibrant. Cette mar a dona (mer à femme) dévoilera alors l’abîme caché sous les frisettes de l’ange.
« Lors des grands événements de football, le ballon devient un objet mythique. Il incarne la volonté. Le ballon doit rentrer dans le but. On veut quelque chose, notre volonté est infinie (comme Dieu) mais notre puissance, elle, est finie. C’est pourquoi quand on regarde des grands joueurs de foot, on a l’impression par la grâce athlétique qu’ils ont abolie l’impuissance humaine et qu’il suffit à la volonté d’être pensée pour exister. On espère le but et le joueur devient un Dieu, un Dieu à la grecque avec ses humeurs. » Olivier Pourriol, philosophe et essayiste français
D’où vient le titre Maradona c’est moi ?
Étienne Durot : Le titre vient du roman d’Alicia Dujovne Ortiz dont nous nous sommes inspirés. Dans notre adaptation, Alicia mène l’enquête sur l’histoire d’amour et de haine entre la ville de Naples et Diego Maradona, ce Héros Argentin, fils adoptif du peuple Napolitain. Alicia a quitté l’Argentine au moment de la dictature des colonels. Elle se sent orpheline d’une terre toujours vivante. En tentant de comprendre l’histoire de Maradona à Naples, c’est notre besoin de communion populaire qu’elle questionnera : cette volonté de sortir de l’Histoire pendant un temps….
Quel lien faites vous entre football et tragédie grecque ?
É. D. : À mon sens, il n’y a pas un lien mais des liens. Tout d’abord le football respecte les mêmes principes que le théâtre classique :
-un lieu, le terrain
-une durée, 90 minutes
-une action qui se déroule sous les yeux des spectateurs.
Dans l’histoire que nous racontons, Diego est un homme mais Maradona est un Mythe. Un Mythe qui a connu une fin tragique. Une mort symbolique, bien sûr, Diego vit toujours. Contrairement aux tragédies grecques, Maradona n’a pas eu besoin d’une intervention divine. Avec son but de la main, il agit et répare une injustice commise par on ne sait qui. Il s’offre une augmentation de taille. Il dépasse le héros et devient un dieu, un dieu à la Grec : sensuel, capricieux, expressif, débauché et corrompu. Un dieu à notre image.
Selon vous, Maradona serait-il plutôt un Hercule, un Ulysse ou un OEdipe ?
É. D. : Il marche dans les pas d’Oedipe quand il se détruit pour rétablir la vérité. Dans ceux d’Ulysse quand il refuse d’oublier qui il est et d’où il vient. Il est Zeus par ses excès. Mais également le Minotaure car le stade est un endroit de communion populaire qui peut aussi se transformer en prison. L’Histoire nous l’a démontré.
Propos recueillis par Mathilde Bariller.
« Quand j’ai appris que Diego envisageait de venir à Naples, j’ai pensé
C’est lui
C’est lui que nous attendions.
C’est pour lui que nous avions bâti cette cité oubliée des dieux dont le coeur bat sans objet.
Maintenant nous savons pour qui il bat.
Diego allait nous permettre de prendre notre revanche contre ceux du nord.
De rétablir la justice contre un pouvoir totalitaire qui nous ignore et nous méprise.
Pour nous, mettre un but à Milan
C’est comme aller poser son ballon dans le lit de Berlusconi.
Regardez on existe !
J’ai brûlé de désir pour lui.
Je déchirais mes draps, je suffoquais.
J’avais faim de lui.
Et toute la ville avec moi.
Des grottes obscures jusqu’au soleil
Des tunnels nauséabonds jusqu’à la mer.
Il avait tout
Les boucles noires, la taille, les jambes, les yeux. C’était lui !
Même son nom
Maradona Maradona Maradona. »
94, rue du faubourg du temple 75011 Paris