Une histoire, parmi de nombreuses autres, celle d’un personnage déplacé, bougé de terre.
Cette première secousse est alors suivie de répliques visibles sur son corps. Dans un lieu sans nom, dans l’atmosphère étrange d’une cérémonie, un personnage se débat pour vivre, transforme les objets du quotidien et lutte avec une terre qui s’insinue partout.
C’est ainsi que ce spectacle de mime contemporain tente de raconter l’histoire intime de l’exil et du déracinement, les questionnements sur l’identité qui nous traversent tous, exilés ou non.
« Le voyage, le départ, l’exil, tous les hommes connaissent cela. [...] ce peut être une errance, un voyage, une promenade, une fuite... C’est un chemin où l’enfance marche à nos côtés. » Vahram Zayan
Comment aborder ce sujet avec ma pratique, le mime contemporain ? La chorégraphie du geste c’est trouver les états émotionnels des gestes et les rendre lisibles corporellement dans l’espace scénique.
Au cours des différentes improvisations sur ce thème, il y eut diverses expérimentations du rapport à l’espace serré, étouffant et contraignant, puis très ouvert et finalement tout aussi contraignant, puis sur l’alternance entre ces deux espaces, leur surgissement l’un à l’intérieur de l’autre, en approchant toutes les variations possibles.
L’idée d’un rapport particulier avec le rythme s’est imposée au cours de mes recherches : il y avait toujours quelque chose de l’ordre de la mesure qui revenait mais comme une malédiction et sur laquelle le geste ne pouvait absolument pas s’aligner ; il me fallait trouver le rythme intérieur du geste .
Enfin l’environnement, les objets (tantôt invisibles ou réels), la vidéo et le son, tout, petit à petit faisait corps, et chacun de ces éléments composait avec le personnage comme des partenaires de jeu et en même temps des histoires parallèles. À aucun moment le son ou la vidéo ne sont là comme prétextes au mouvement et sans autre raison d’être « sur scène ». Tous les sons, les images, sont là, dans un échange avec le personnage et dans l’espace, pour le spectateur.
Après différentes tentatives pour trouver le « corps » de l’exil, cet état ne me semble pas être le fait seulement des exilés. Si le corps de l’exil est en déséquilibre tous les corps montrent que nous sommes exilés.
Mater Replik est marqué par une certaine étrangeté voire tristesse, mais j’ai choisi de passer par cet état là pour voir autre chose : que l’exil n’est pas qu’une fuite, un fardeau, un voyage emprunt d’une irrémédiable tristesse. C’est aussi beaucoup de joie, un appel extraordinaire, un horizon immense qu’on n’a jamais fini de parcourir. C’est une fête où tous ces sentiments contradictoires se mélangent.
J’ai voyagé beaucoup, libre ou contraint, j’ai parfois trouvé que ma simple présence mettait en exil les gens du pays où je me trouvais…
La géographie du monde est comme la géographie de notre âme, il n’existe pas de frontières nettes et infranchissables, les sentiments comme les hommes finissent irrémédiablement par se métisser.
Nous partons avec un projet, avec le désir d’une liberté qui est devant nous. Cette liberté est aussi derrière nous, comme le souvenir confus d’une vie perdue. Nous nous projetons parce que nous sommes nostalgiques. En fait, l’acte même de partir nous donne déjà la liberté. Partir c’est réaliser cette boucle du temps avec le projet, la nostalgie qui nous donne notre état présent d’être libre. Mais cette liberté est comme un élément manquant.
L’exilé réalise la liberté, en se détachant concrètement de tout, il ouvre tous les possibles et sent la fraîcheur effroyable de cette ouverture.
Si partout, en voyage, ce que l’on emmène, que l’on traine c’est soi et la désorganisation de son monde intérieur, ce que l’on trouve ou retrouve au terme du voyage, qu’est-ce ? Les retrouvailles comme les séparations sont toutes intérieures, on ne trouve ou retrouve pas grand-chose, on se rencontre.
Le voyage, le départ, l’exil, tous les hommes connaissent cela d’une certaine manière. Tous les hommes quittent ainsi le pays de l’enfance et tous espèrent un jour le retrouver. C’est nécessaire pour survivre au quotidien, pour survivre à l’enfer de la répétition et aux poids des obligations. L’exil après tout peut être une errance, un voyage, une promenade, une fuite… C’est un chemin où l’enfance marche à nos côtés. Cette enfance que nous recherchons, nous ne la voyons pas ; nous n’en entendons pas le pas musical. Est-ce une enfance idéale ou idéalisée ?
Vahram Zaryan
5, rue du Plateau 75019 Paris