Le Chef est seul dans son cabinet. Enfin tranquille. Ému, stupéfait par lui-même ! Lui qui n’avait jamais pensé au peuple avant d’être Chef ! A présent toutes ses pensées sont absorbées par lui, par le peuple, dont il ignore tout. Soudain des cris, là-bas, tout au fond. Les ennuis viennent toujours de là-bas tout au fond. Il faudra éliminer cette partie du fond du bâtiment. Les voilà : les Assesseurs. Ils poussent des cris d’effroi. Il se passe quelque chose de grave…
Monsieur Kraus et la Politique est l’un des opus d’une création grafico-littéraire intitulée O Bairro, Le Quartier, dans lequel coexistent et déambulent des « messieurs » portant des noms d’artistes dont Gonçalo M. Tavares s’est inspiré. Depuis sa création en 2002, le Quartier s’agrandit et des personnages hauts en couleurs ne cessent d’y emménager : Monsieur Valéry / Monsieur Henri M. / Monsieur Brecht / Monsieur Juarroz / Monsieur Kraus / Monsieur Calvino / Monsieur Breton / Monsieur Salinger...
Gonçalo M. Tavares tient à être clair : ces livres ne sont pas des biographies, ce sont des hommages. Le Bairro est en réalité une partie de sa bibliographie, son encyclopédie, son panthéon littéraire ; un univers poétique et lunaire, un village imaginaire où vivraient les plus grands écrivains de l’Histoire « comme le village d’Astérix, un lieu où l’on tente de résister à l’entrée de la barbarie » (citation de l’auteur).
J’ai rencontré Monsieur Kraus et la politique de Gonçalo M. Tavares au hasard de mes flâneries en librairie. J’ai ouvert le livre sur place, comme on le fait tous pour « y jeter un oeil ». Je n’en suis pas sortie avant d’en avoir lu le dernier mot, littéralement conquise par ce mélange de poésie littéraire et d’humour caustique où l’absurde règne en maître.
Dès cette première lecture l’impact du verbe de Gonçalo M. Tavares a éveillé mon instinct de metteur en scène. De toute urgence je devais donner corps et voix à ce texte complètement absurde et criant de lucidité. Pour imposer la fantaisie et la pertinence de l’auteur, l’adaptation a préservé la distance qu’il prend avec toute réalité pour encore mieux la révéler. Les personnages et leurs discours sont restés fictifs. On rit tant ils sont grotesques mais on rit très jaune, très amer, très cramoisi tant ils nous renvoient à notre propre réalité.
A force de lecture et de relecture, à force d’entendre ces mots absurdes si effrayants de justesse, prononcés par des personnages grotesques, monstrueux, dangereux, en costumes trois pièces et en charge des plus hautes affaires de l’état, la grinçante pertinence irrespectueuse du dadaïsme s’est confortablement installée dans ma réflexion. Un mélange insolite entre l’image cinématographique de l’expressionnisme allemand et la peinture Dada, en particulier celle de George Grosz.
On dit de l’Expressionnisme qu’il s’oppose à la réceptivité passive de l’artiste sur le réel. Avec cette adaptation scénique de Monsieur Kraus et la politique, j’espère stimuler celle du public afin que les mots de Tavares y laissent autant d’impacts d’obus qu’ils en ont laissé dans mon esprit. Pour que, au bout du compte, le spectateur se sente plus vivant.
Violetta Wowczak
" C'est un régal ! " Carlos Pereira, Luso journal
" C’est cinglant et drôle, caustique et pertinent, grotesque et dévastateur, comme si Pierre Dac narrait la dernière université d’été du Medef. La mise en scène de Violetta Wowczak est efficace et les acteurs sont plus vrais que nature. " Jack Dion, marianne2.fr
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