« Les morts ont le sommeil léger.
Ils conspirent dans les fondations
Et ce sont leurs rêves qui nous étranglent .»
(Heiner Müller, Germania 3)
L’espace neutre de la boîte blanche comme point de départ, un espace mental où va venir s’inscrire la mécanique folle de Neuer Tanz. Pour VA Wölfl, la scène est un incubateur, un laboratoire de guerre où remuent ses composants chimiques, sa nitroglycérine, qu’un mouvement de trop, un choc menace de faire exploser...
Les corps, les couleurs, les objets, la musique sont manipulés par le pouvoir de l’illusion : sommes-nous en face d’un tank ou d’un ballon de baudruche, de balles de tennis ou de grenades ? La convulsion qui agite ce « théâtre des opérations » révèle une beauté d’une inquiétante étrangeté. Les danseurs, impersonnels, en habits d’employés, ont l’air de se préparer à entrer sur scène. En miroir, ils sont, comme nous, les spectateurs d’un processus logique qui dégénère, qui les fait passer de la danse disco à l’épilepsie, de la fête au combat, du statut d’ange à celui de bourreau.
La scène devient un champ de bataille parcouru de zones piégées, de champs de force, de luttes de pouvoir : un espace géopolitique. Les mouvements, qui se succèdent, dessinent au sol un tracé fuyant, repris, répété, soumettant le spectateur à une attention continue, forcé d’interroger chaque signe comme la pièce d’un puzzle dont le mode d’emploi se dérobe.
Revolver est une pièce chirurgicale, une opérette décadente qui interroge sans relâche la production de sens sur scène. C’est à l’endroit où les liens manquent que la beauté se révèle. Tenus en joue par cette beauté dangereuse, nous sommes renvoyés à la fascination qui fonde notre condition de spectateurs passifs. C’est nous qui chantons, qui dansons devant les images de destruction - observant de loin le péril et jouissant de sa contemplation.
Gilles Amalvi
« Notre société n’est pas celle du spectacle, mais de la surveillance ; sous la surface des images, on investit les corps en profondeur, derrière la grande abstraction de l’échange, se poursuit le dressage minutieux et concret des forces utiles ; les circuits de la communication sont les supports d’un cumul et d’une centralisation du savoir, le jeu des signes définit les ancrages du pouvoir, la belle totalité de l’individu n’est pas amputée, réprimée, altérée par notre ordre social, mais l’individu y est soigneusement fabriqué, selon toute une tactique des forces et des corps. Nous ne sommes ni sur les gradins ni sur la scène, mais dans la machine panoptique, investis par ses effets de pouvoir que nous reconduisons nous-mêmes puisque nous en sommes un rouage. » Michel Foucault, Surveiller et punir
« La danse est parfois la meilleure des sociologies. Elle peut en effet non seulement observer avec acuité les structures sociales, mais en même temps réfléchir pour savoir qui, en fait, observe quoi, de quel point de vue (…). La colère impuissante face à l’invasion américaine en Irak a été rarement exprimée de façon aussi convaincante que dans ce spectacle. Le public regarde une scène d’un blanc aveuglant, presque entièrement occupée par deux tanks blancs gonflables dont les canons pointent sur le public (…). Le sujet de ce spectacle n’est pas la condamnation des Américains, mais c’est nous-mêmes, en tant que spectateurs d’une guerre faite pour le ‘nouvel ordre du monde’ dont nous profitons tandis que nous en ignorons les conséquences. » Dirk Baecker, Die Tageszeitung
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