Le dernier dîner
Note d’intention
Extrait
Vendredi soir dans l’appartement de Claire et Paul. Alors qu’ils attendent des amis pour dîner, Claire annonce à Paul que ce dîner sera leur dernier. Elle se débat brièvement dans un semblant d’explication devant Paul qui n’a pas le temps de revenir de sa stupeur : on sonne déjà.
L’écriture de peanuts partie a démarré avec une situation de départ qui s’est enrichie ; j’avais la trame principale - le fait que Claire annonce la rupture juste avant l’arrivée des invités - et je savais que la séparation serait consommée à la fin de la pièce, mais je n’avais pas en tête le cheminement complet qui m’amènerait du point A au point B.
J’aimais la situation du dîner qui représentait à la fois un contexte très quotidien mais également très théâtral. Je savais que dans ce contexte il faudrait que les personnages soient particulièrement « nourris » par les comédiens. J’aime le fait qu’ils ne soient pas d’un bloc. Quand bien même ils peuvent paraître caricaturaux à certains égards, je crois qu’on voit vite le défaut de la cuirasse de chacun, son envers du décor. Claire et Paul peuvent sembler très froids et assez sûrs d’eux, mais ils sont également parfois très maladroits dans cette situation délicate. De même Marc, derrière ses côtés un peu beaufs n’est pas si bête qu’il en a l’air, tout comme Aurélie qui ne se laisse pas tant mener par le bout du nez que ça…
Comme bien souvent au théâtre, on part d’une situation dramatique (la rupture) pour de fil en aiguille arriver à des minutes cocasses, absurdes, ou drôles : je tenais à ce que l’ensemble de la pièce reste une comédie, même si la réalité - qui ressurgit dans les dernières secondes de la pièce - rappelle brutalement les personnages et le spectateur au verdict sans appel du cœur.
Enfin, la structure de la pièce, avec l’absence de Claire pendant un long moment, me semble fidèle à ce qui peut se passer en réalité dans une séparation : ce sont souvent les proches qui sont informés dans les moindres détails du pourquoi du comment, alors que les principaux intéressés communiquent en définitive assez peu…
Paul : On va pouvoir arroser ça ! De même que cet ensemble charmant que je ne connaissais pas.
Claire : Paul s’intéresse à mes tenues. Première nouvelle. La grande représentation du vendredi soir qui commence.
Paul : Je ne fais que surfer sur une ambiance que tu as su si bien chauffer ma chérie.
Claire : Ca veut dire quoi ça ?
Paul : Rien, rien je …
Il veut remplir son verre mais renverse du vin sur son tailleurs.
Claire : Merde mais fais gaffe !
Paul : Excuse moi je suis désolé vraiment !
Claire : T’es con, vraiment !
Elle sort précipitamment.
Marc : Elle est fâchée ?
Paul : Penses-tu. C’est rien. Ca ne tâche pas.
Aurélie : C’est du Brouilly…
Paul : Justement. Le vin rouge, ça tâche pas. C’est comme les fraises. Ca ne tâche pas. Ca ne tâche plus. Plus rien ne tâche de nos jours.
Aurélie : Un si joli tailleurs c’est dommage.
Paul : Non non c’est rien je t’assure. On le fera nettoyer. Ne vous inquiétez pas pour ça. Prenez des cacahuètes. (Marc se sert) Alors cette maison, racontez !
Marc : Très bien ! On est très content... Il y a quelques travaux à faire à l’intérieur mais c’est juste de la finition.
Paul : De la finition, c’est super ça! Super… Vous emménagez quand ?
Marc : Dans 3 mois si tout se passe bien.
Paul : Si vous avez besoin d’un coup de main pour quoi que ce soit surtout, …
Marc : On sait où vous trouver !
Paul sourit.
Paul : Tu peux me tutoyer tu sais.
Marc : On va sûrement se débarrasser de quelques meubles à l’occasion du déménagement. Faudra que vous passiez à la maison voir s’il y a des choses que vous aimeriez récupérer.
Paul : Oh tu vois on a plus beaucoup de place déjà ici alors…Mais pourquoi pas. Ca pourrait peut être intéresser Claire.
Marc : Ah ? Claire cherche des meubles ?
Paul : (dans la foulée, réalisant la gaffe qu’il vient de faire) Oui. Non. Je ne sais pas pourquoi je dis ça. Vous allez remeubler dans quel style ?
Marc : Moderne ! J’en ai marre de regarder la télé sur un écran timbre-poste.
Paul : Ah, vous allez investir dans un machin de cinéma à domicile ?
Marc : Tu ne peux pas dire « home cinéma » comme tout le monde ?
Paul : Non, je ne peux pas. Je dis « cinéma à domicile », et crois moi, je bénéficie déjà d’un programme assez complet.
Marc : Oui enfin tu dis ça, mais quand tu y auras goûté une ou deux fois, tu finiras par craquer, comme tout le monde.
Paul : Ca m'étonnerait. Je craque déjà.
Marc : Enfin bon. Si vous changez d’avis avant qu’on bazarde tout, n’hésitez pas hein.
Ils boivent.
Aurélie : Ca vous embête si j’achète le même tapis que vous pour mettre chez nous ?
Paul : Mais non pourquoi voudrais-tu que ça nous gêne ?
Aurélie : Je sais pas. C’est une trouvaille à vous. C’est un peu votre idée, ce tapis. C’est un peu comme les fringues entre nanas. Je pourrais pas acheter les mêmes fringues que Claire, même si j’adore.
Paul : Tu peux acheter le même tapis je te rassure. Claire ne porte pratiquement plus celui-là.
Marc : C’est vrai que c’est super bien décoré ici.
Paul : Oui la déco, c’est Claire surtout.
Aurélie : Eh ben elle a bon goût !
Paul : Ah ça, je peux pas encore dire.
Un temps. Claire entre dans une tenue plus décontractée.
Claire : Voilà voilà.
Marc : Je disais à Paul que je trouve que tu as très bien décoré l’appart.
Claire : Merci. Tu sais, j’ai fait ça comme ça vient, sans vraiment y penser… je laisse faire mes mains et… hop… ! (Claire cherche son verre, sans le trouver).
Paul : (« admiratif ») Claire ! Un miracle par jour… (Claire sort) Claire travaille beaucoup à l’instinct, sans vraiment réfléchir.
Marc : (à Paul - confident) « Je laisse faire mes mains et hop ? » et ben j’en connais un qui doit pas s’emmerder !
Paul : Oui. Faudra qu’on me le présente un jour.
Marc rit.
Marc : Oh le con !… Aurélie, t’entends les conneries qu’il raconte ?… Il trouve encore le moyen de râler alors qu’il se tape …
Claire entre, son verre à la main. Aurélie lève les yeux sur Marc et le regarde avec dédain, attendant la fin de sa phrase.
Claire : Vous en étiez où ? J’ai loupé quelque chose ?
Aurélie : (faisant mine de se replonger dans sa lecture) Rien de bien important. Marc confiait à Paul qu’il était jaloux de ton amant.
Claire : Pardon ?
Marc : Oh là là… si ça doit faire toutes ces histoires…
Paul : Mais non ça ne fait pas d’ histoires. Claire si tu faisais moins de cachotteries aussi… Tu aurais du l’inviter ce soir !
Petit temps. Claire regarde Paul qui sourit.
Claire : J’avais peur d’être juste en cacahuètes.
Paul : (tendant la soucoupe à Marc) Cacahuètes ?
Marc : Oui, oui.
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