Pièce pour deux danseurs.
Avec Bataille, Pierre Rigal conçoit un duo masculin pour le maître de la percussion corporelle, Hassan Razak et l'acrobate Pierre Cartonnet au ton décalé, au carrefour de la danse, du théâtre, du cirque, de la création musicale et de la performance.
Un duo ? plutôt un duel, une étrange altercation entre deux gaillards qui vont se jauger, s'agripper, se heurter, se rouer de coups... mais aussi s'enlacer, se caresser et s'embrasser. Ils stylisent le geste jusqu'à l'absurde, jouent de l'effet comique pour mieux embrasser les pulsions de vie et de violence. Car l'ingénieux combat chorégraphié de Pierre Rigal se transforme subtilement en un surprenant pas de deux qui multiplie à l'infini les jeux d'illusions et d'opposition. Voilà les spectateurs ballottés entre amour et haine, entre plaisanterie et drame, tenus en haleine par un corps à corps jubilatoire, presque enfantin.
Il est toujours tentant d’aller regarder dans une biographie pour tirer quelques hypothèses. Pierre Rigal a commencé dans la vie comme athlète : spécialiste de 400 m et de 400 m haies. De là, peut-être, une préférence pour ce qui va vite, fort, droit au but, et qui survole l’obstacle sans contour ni détour. Un goût qu’on retrouve dans les titres lapidaires de ses pièces : Même, Micro, Salut, Asphalte Press… Partie sur les chapeaux de roues, sa carrière de danseur devient carrière de chorégraphe, et, dans la foulée, de chorégraphe à succès. Pour satisfaire au goût de la brièveté, on pourrait la résumer en chiffres : sa compagnie – baptisée “dernière minute”, fondée en 2003, totalisait – en 2015 – 1 052 représentations dans 40 pays. Artiste qu’on pourrait dire comblé, Pierre Rigal continue pourtant d’admirer la beauté des contre-performances : “La richesse, c’est l’héroïsme du ratage, écrit-il. L’image bizarre de la perfection me poursuit au galop. Lorsqu’elle me double, je perds la cadence. Je la laisse filer. Et je cours derrière elle avec les anges qui se moquent de moi. Ils me font rire. Je suis essoufflé et ridicule.”
Créé en 2013, Bataille est tout d’abord “une confrontation entre deux acteurs physiques : d’une part Hassan Razak, spécialiste de percussion corporelle, et d’autre part Pierre Cartonnet, spécialiste d’acrobatie”. Plus avant, passé l’opposition du grand et du petit, la pièce en envoie autant dans la figure de ses interprètes que dans la tête du spectateur, conduit à se poser quelques questions troublantes. Que se passe-t-il quand on observe deux personnes qui se mettent sur la gueule ?Prend-on un parti ? Lequel, et pourquoi ? Est-on prêt à changer de camp après un coup bas ou une attaque loyale ? Alors que la bataille se transforme en pur mouvement, regarde-t-on autre chose que deux hommes à la lutte ? “La danse est exigeante, précise et sophistiquée mais elle est d’abord primitive, naïve, libre, intuitive, folle”, écrit Pierre Rigal et, de la bataille, sa chorégraphie conserve la spontanéité, l’invention, le goût des farces et des feintes. Touchant le spectateur dans ses pulsions les plus primaires, il le traite cependant avec douceur, attaquant la brutalité sur son versant cocasse. Défoulant et jubilatoire, ce “fight club dansé” montre également qu’on peut, avec finesse, en dire long sur la violence tout en gardant le sourire.
5 rue de Thorigny 75013 Paris