Système Castafiore, agents troubles
Système Castafiore ou l’intelligence du rire
Argument
Barcellos versus Biscuit, c’est un peu la rencontre du Sud, São Paulo pour tout dire, et du Nord, Bruxelles pour situer. Marcia Barcellos, l’étincelle qui chante et danse comme personne, a fait partie de l’aventure du collectif Lolita qui réveilla les salles françaises dans les années 80 ; Karl Biscuit, compositeur décalé et ornithologue à ses heures perdues, créa lui pour Dominique Boivin ou Philippe Decouflé.
À deux, le tandem se lance enfin en 1989 dans le grand bain sous l’intitulé tonitruant Castafiore, soit des années de créations farfelues où ils tendent un miroir – parfois déformant ! – à notre genre humain passablement agité. Devenus depuis Système Castafiore, Marcia Barcellos et Karl Biscuit ont l’art de créer des mondes étranges, qui pourtant nous ressemblent, où danse, vidéo et musique se répondent dans un dialogue constant. Ces petits enfants doués de maîtres comme Oskar Schlemmer, l’homme du Bauhaus et du ballet futuriste, ou Alwin Nikolaïs, le bricoleur fou de la danse américaine, ont plus d’un tour dans leur sac.
Un de leurs derniers, justement, c’est Protokol : Prokop. Quoi donc ? À partir des travaux d’Emil Prokop, dramaturge hongrois, Système Castafiore imagine un ballet en noir et blanc d’où émergent figures troublantes issues d’une cour royale imaginaire ou images projetées sur un tulle tendu. Il y a du burlesque là-dessous et une musicalité à toute allure servie par un quintet vocal. Bien sûr, vous vous demandez qui est cet Emil Prokop inconnu de nos services.
Une injustice de l’histoire dramatique, ici enfin réparée, une pure invention due à nos agents troubles Marcia Barcellos et Karl Biscuit ? Le mystère s’épaissit... Mais sachez que seuls les spectateurs présents aux représentations salle Jean Vilar pourront s’en faire une idée juste… ou pas. Revendiquant brouillage et déconstruction, Marcia Barcellos et Karl Biscuit prennent en effet l’humour très au sérieux. Cette incursion dans le comique, plus qu’une marque de fabrique, est un sauf-conduit chorégraphique merveilleux. Drôles ils le sont mais avec du recul ! Système Castafiore cherche dès lors un public curieux de tout pour pénétrer ces mondes parallèles et dansés.
Ph N
"Ballet en noir et blanc, au titre énigmatique, Protokol : Prokop, la dernière création de Système Castafiore nous entraîne avec humour et distance dans des mondes parallèles et dansés. Parcours du tandem – Marcia Barcellos vient de São Paulo, Karl Biscuit de Bruxelles – qui "refait le monde en s’amusant".
Il n’y pas de hasard, il n’y a que des rencontres. Celle qui, en 1986, eut lieu entre Karl Biscuit, musicien, compositeur, metteur en scène, et Marcia Barcellos, danseuse-chorégraphe-chanteuse issue de l’école d’Angers sous la direction d’Alwin Nikolaïs, donna naissance quelques années plus tard à Système Castafiore lequel occupa immédiatement une place particulière dans le vaste panorama de la jeune danse française de l’époque.
Marcia Barcellos, qui héritait de Nikolaïs le goût de l’art cinétique, y apportait sa poésie du visuel, un univers où volumes, formes et couleurs se recomposent au gré d’une fantaisie toujours en éveil. Karl Biscuit y ajoutait une réflexion très contemporaine sur le désenchantement du monde, marquée à la fois par une distance ironique et une grande vulnérabilité. Tous deux gardaient de leur expérience avec le collectif Lolita un esprit de liberté au sein d’une équipe. Karl composait une bande-son faite de bouts de dialogue, de bribes de chansons ou de mélodies, d’onomatopées fonctionnant comme un scénario sonore auquel venaient s’adapter les images chorégraphiques créées par Marcia.
Avec intelligence et un vrai sens du spectacle, Système Castafiore apportait à la scène chorégraphique contemporaine, un contenu aux multiples échos, libre d’interprétation. Ainsi, d’Aktualismus en 1989 à Protokol : Prokop, la dernière création, en passant par de véritables opéras comme L’Office des longitudes, une poétique théâtrale devenue outil d’investigation, s’est peu à peu mise en place. L’accent mis sur l’interdisciplinarité – danse, musique, scénographie – et les objets utilisés qui ne sont jamais là par hasard, tout participe à ce foisonnement de sens possibles. Derrière les personnages inhabituels, corps marchant à l’envers ou flottant dans les airs, bras ou jambes s’allongeant vers l’infini, les certitudes commencent à vaciller et le doute s’installe.
Chaque spectacle de Système Castafiore, tout en revendiquant un goût du métier et du savoir-faire, s’apparente à une joyeuse méditation. En effet, à la différence d’autres artistes pour qui le sérieux du propos doit aller de pair avec le sérieux de la forme, Système Castafiore délivre ses subtiles perceptions sur un mode ludique.
« Refaire le monde en s’amusant », telle est sa devise. Mais le divertissement n’est qu’apparent et le rire jamais anodin. Il relève plutôt d’une conscience aigüe d’habiter un univers dont la connaissance ne sera jamais que fragmentaire. C’est un rire-diagnostic provoqué par le spectacle du monde tel qu’il va avec ses petitesses et ses trafics en tout genre, auquel s’ajoute néanmoins l’espoir de lui trouver une cohérence. Car le travail de Système Castafiore, traversé par une prodigieuse bonne humeur et une poétique sans pareille, est celui d’une présence au monde qui refuse le cynisme. Et le rire passe comme un feu purificateur.
Sonia Schoonejans
“La lecture linéaire du monde est caduque. Complexe et diffuse, notre société se caractérise par un brouillage permanent du sens. Privés de toute perspective téléologique, nous ne sommes pas pour autant livrés au néant. Il nous faut investir un espace de foisonnement des signes où, au déterminisme du sens se substituera une logique de la cohérence.” Emil Prokop, Carnet de travail
A la cour du roi Gravbek III s’ourdit un vaste complot...
Un monde crépusculaire et chaotique où un mal diffus semble avoir pris possession de toute chose. Face au cauchemar d’une violence absurde, qui n’a plus ni sujet ni fin, les signes de l’humain tracent les contours d’un ailleurs possible…
La pièce s’articule autour de la redécouverte du travail d’Emil Prokop, dramaturge et metteur en scène. De son oeuvre ne subsistent que des fragments : notes et croquis, extraits télévisuels, rushes.
En nous appuyant sur ces derniers, nous tentons de reconstituer de la manière la plus fidèle possible une des œuvres maîtresses de Prokop : sous le titre de Protokol : Prokop
A travers cette tentative, nous entendons, en écho aux travaux de Prokop, rendre compte de l’émergence d’un langage susceptible d’offrir de nouveaux outils d ’interprétation, de traduction en adéquation avec les exigences du temps.
1, Place du Trocadéro 75016 Paris