Sacre - The Rite of Spring, Histoires de danse, avec ces deux dernières pièces, Raimund Hoghe expose sa partition chorégraphique, dix ans après avoir jeté pour la première fois son corps dans la bataille en 1994 dans un solo, Meinwärts (présenté au Théâtre de la Bastille pour la première fois en France en 1997), ou comment faire la preuve de soi. Depuis, le chorégraphe a partagé ses plateaux jusqu'à inscrire ses collaborations dans le titre de ses pièces pour bien en mesurer les enjeux relationnels : un duo Dialogue with Charlotte, trio avec Sarah, Vincent et moi, jusqu 'aux douze jeunes performers de Young People, Old Voices (2002).
Sacre (2004) et Histoires de danse (2003) poursuivent ce partage de la scène, mais l'enjeu - comme le signalent les titres - s'est déplacé sur la matière chorégraphique. Sacre - The Rite of Spring ou comment, dans la lignée des gestes de Nijinski, Pina Bausch, Maurice Béjart, Jérôme Bel... faire chorégraphiquement preuve de soi.
Que dit le Sacre de Hoghe ? Le contraire de l'histoire originale dansée par Nijinski et Lydia Sokolova, qui exigeait d'en passer par le sacrifice de la deuxième pour qu'un rite d'adoration à la terre puisse s'accomplir. Aucun sacrifice chez Hoghe dont le Sacre se lit comme la consécration de sa rencontre avec Lorenzo de Brabandere, vingt ans - quatre ans de moins que Nijinski quand il créa la pièce en 1913. S'il est un rituel chez Hoghe, il célèbre certainement la commémoration de ce qui s'est joué deux ans plus tôt sur le plateau de Young People, Old Voices. Puisque c 'est là que le chorégraphe et le jeune performer se sont rencontrés, qu'ils ont esquissé les premiers pas en duo sur quatre extraits de la musique de Stravinsky, trouant le déroulement de la pièce réglée pour douze interprètes.
Ils ont expérimenté les détentes fulgurantes de Lorenzo, mis au point la qualité de leur collaboration par des échanges de répartition des poids, le corps de l'un supportant l'autre dans des jeux d'équilibre dont on savait qu'ils y cherchaient la preuve et la nature de leur rencontre solidaire. Sacre s'était alors imposé, car il avait fallu dépasser les extraits, se colleter avec la partition entière pour vérifier ce que chacun soupçonnait. La pièce apparaît dès lors comme le surgissement des liens retrouvés entre les quatre extraits de Young People, Old Voices.
L'histoire de ce Sacre raconte le retour d'une danse refoulée qui signe la vérité d'un rapport... artistique. Or le chemin vers la vérité suppose des étapes : Histoires de danse en est une, qui fait suite chronologique au Young People de 2002 et précède Sacre. Raimund Hoghe y affine, dès les premières notes de la Valse des fleurs de Tchaïkovski, les possibilités d'un duo avec Lorenzo. L'un arrive à jardin, l'autre à cour, pour se retrouver au centre mais de dos, encore incertains quant à leur volonté de faire face au public, comme pour protéger encore la fragilité de ce duo qu'il leur reste à construire pour en faire la matière et le sujet d'une pièce à part entière. Ce temps n'est pas venu, aussi le chorégraphe continue d'ouvrir la scène à d'autres interprètes, d'autres histoires, d'autres danses.
Ornella Balestra, d'abord. Avec elle, les souvenirs des heures de gloire associées au nom de Maurice Béjart, viennent hanter le plateau, mais aussi son parcours de danseuse formée au Royal Ballet de Londres qui lui fait tout juste tourner l'épaule pour qu'apparaisse le spectre d'Odette dans Le Lac des Cygnes.
Geraldo Si, ensuite, interprète de Pina Bausch, qui arrive de la salle en robe rouge et entraîne dans son sillage, outre le parfum du Tanztheater de Wuppertal - faut-il rappeler ici que Raimund Hoghe fut le dramaturge de Pina Bausch pendant ses dix plus belles années 1980 -1990 !-, la mémoire de trois personnages féminins créés un an plus tôt.
Au final, Raimund Hoghe radicalisera encore son geste d'ouverture, en donnant sa place à un guest. Sur les accords de Johnny Guitar chantés par Peggy Lee, un homme, à moins que ce ne soit une femme, arrivera.
C'est un danseur, une interprète, assis au premier rang, un performer, ou une chorégraphe qui se lève, gagne le plateau et fera, le temps d 'une chanson, la preuve de soi. La musique se coule alors dans un montage de bruits d'eau, soit l'art et la manière d'annoncer le Sacre que Stravinsky comparait à un vaisseau.
Laurent Goumarre
76, rue de la Roquette 75011 Paris