Sade en chansons
Note sur la mise en scène
Intentions
Donner à entendre Sade en chansons. Telle est la folle ambition et la démesure de Sade Songs. Qui à la lecture des Cent vingt journées de Sodome n’a été frappé par la déraison du marquis à décrire l’horreur ? Cette aspiration des bourreaux à mettre en scène leur respectabilité à travers l’abject n’est pas sans faire écho aux observations d’un Jorge Semprun ou d’un Primo Lévi. Pourtant, comme les surréalistes, je rêve de réhabiliter l’homme. Celui, qui, à la lecture assidue de ses oeuvres, m’est apparu en regard du peu que sa réputation sulfureuse me le laissait entrevoir. Je souhaite mettre en lumière la profondeur et la solitude abyssale d’un être humain amoureux fou de sa liberté d’écrire et de penser. Une personnalité à laquelle tout compositeur, qui plus est de jazz, ne peut rester insensible.
Ici, il est question de religion, de sens, de nature. De ce festin de passions, Sade échafaude un théâtre baroque où les brutalités du monde sont peintes sans concession. A partir de ces contes pour adultes, j’ai à mon tour composé des chansons : ce format musical me semble le plus apte à traduire la théâtralité et la magnifique complexité de l’oeuvre sadienne.
Je conçois ces chansons comme autant de perles d’un collier solidement reliées entre elles au moyen d’un fil sonore. Ce lien est tel un marais parfois inquiétant, parfois tranquille d’où naissent et meurent ces bulles de son. On ne fait pas un collier de Sade sans risquer quelques noeuds, certes, mais le matériau est si puissant qu’il pourrait rayonner à l’image de ce « soleil noir du siècle des lumières ».
Jean-Rémy Guédon
Avec les musiciens de l'ensemble Archimusic :
Jean-Pierre Arnaud : hautbois, cor anglais
Nicolas Fargeix : clarinette
Nicolas Genest : trompette
Jean-Rémi Guédon : saxophone
Carol Mundinger : clarinette, basse
David Pouradier Duteil : batterie
Yves Rousseau : contrebasse
Bruno Rousselet : basson
Un soir, au bord d’un bois… il était une fois un marquis, que ses amours légendaires avaient forcé à se réfugier au plus profond d’un bois. On racontait qu’il s’accouplait avec les bêtes aussi bien qu’avec les hommes. D’autres disaient que, révolté de la sottise, de la veulerie et des mensonges de notre monde, il était devenu le chef d’une bande de brigands sanguinaires qui ne détestaient pas accompagner leur festin d’un jarret de curé. Quelques-uns prétendaient l’avoir vu hurler avec les loups. Ce qui est sûr, c’est qu’à chaque pleine lune, une complainte serpentait entre les arbres et venait enflammer les oreilles craintives qui, rassemblées autour de l’âtre, tremblaient.
Le marquis chantait et huit musiciens l’accompagnaient dans un sabbat qui précipitait les âmes les unes par-dessus les autres. C’est ce qu’on disait ! Mais qui avait pris soin de s’aventurer dans le bois ? Mais qui avait tendu l’oreille aux chansons du marquis ? Ce soir, il faudra désobéir à votre maman qui vous avait dit : « ne t’en va jamais seul au bois. On ne sait pas ce qu’il peut arriver dans le bois » car c’est à l’une de ces nuits de sabbat que nous vous convions.
Jean Lambert-Wild
L’entreprise de Jean-Rémy Guédon de faire entrer la parole de Sade dans le corps d’un spectacle musical peut paraître un peu folle. C’est en tout cas avec beaucoup d’interrogations que je me suis rendu à la création de la version concert de son travail, en mai 2004, au château de Saumane. Ce que j’ai entendu ce soir-là a balayé tous mes doutes : le choix des textes, la très souple et ingénieuse façon de les faire entrer dans une forme musicale qu’il faut bien apparenter à la chanson, les interventions instrumentales, tout est remarquablement maîtrisé et produit une matière artistique qui a la force de l’oeuvre achevée et le pouvoir d’étonnement de l’inédit.
L’ensemble Archimusic présente la particularité de rassembler, à parts égales, des solistes issus, les uns de la tradition classique, les autres du jazz. Depuis plus de dix ans, Jean-Rémy Guédon nourrit cet orchestre insolite de véritables projets, de longues partitions très élaborées, où il tire parti des multiples possibilités de ses interprètes. La mise en situation des qualités propres à chaque musicien en fonction de la dramaturgie musicale appelle un véritable travail de concepteur. Il me semble que Sade Songs est l’aboutissement exact de ce patient et passionné travail dont le résultat rend aussi hommage à l’investissement à long terme de chaque membre du groupe.
Aucun choix ne pouvait être plus pertinent que celui d’Elise Caron, chanteuse, musicienne et comédienne stupéfiante, personnalité unique qui s’est pourtant illustrée dans les contextes les plus divers. Elle assume naturellement les textes denses de Sade comme la partition complexe de Guédon.
Cette première étape achevée et réussie, il faut maintenant porter à la scène ce projet. Pour cela, nous nous sommes tournés vers Jean Lambert-Wild, jeune metteur en scène très remarqué pour l’originalité et la dimension sonore de ses réalisations. Son enthousiasme pour cette aventure nous conforte dans notre choix. L’allan, scène nationale de Montbéliard, dont la vocation est de soutenir les projets musicaux novateurs, accueillera la réalisation de la version scénique de Sade Songs au cours d’une résidence de création de l’ensemble Archimusic et Jean Lambert-Wild.
Didier Levallet, Directeur de l'Allan, scène nationale de Montbéliard
Quelle éclairante liberté, pleine de jouissance et de réjouissance, s’est construite de la fusion des mots du Marquis de Sade aux notes de Jean-Rémy Guédon. J’y retrouve tout le questionnement de mon cheminement. Pour reprendre les mots du Marquis “les sensations communiquées par l’organe de l’ouïe sont celles qui flattent davantage et dont les impressions sont les plus vives”.
Une voix dépourvue de ressource musicale est terne. Elle a le plus grand mal à faire vibrer l’incompris et à réveiller les grandes passions. Or, l’épineuse question du motif vocal d’une voix sur une scène de théâtre ne peut être dépassée qu’avec l’accord harmonieux des musiciens. Il y a là le moyen de conjuguer la puissance du sens à l’infini des sons et de conjurer ainsi l’absence d’entendement où notre civilisation nous entraîne.
À ce beau dessein auquel me convie Jean-Rémy Guédon, j’aimerais offrir toutes les vibrations d’un espace où nos impressions pourront passer sans cesse avec ivresse de l’ombre à la lumière.
Jean Lambert-Wild
2, place Victor Hugo 94270 Le Kremlin-Bicêtre
Voiture : partir de la porte d'Italie, prendre la RN7 en direction de Villejuif. A la hauteur de la station de métro tourner à droite, avenue Eugène Thomas puis au 1er feu à gauche rue Jean Monnet.