Texte du spectacle extrait de Lhomme assis dans le couloir, Marguerite Duras, (éd. de Minuit)
Ténèbres, aube et crépuscule. Ombre blanche, étoile du Butô, Carlotta Ikeda défrayait la chronique voici vingt ans à Paris, au Nouveau Carré Silvia Monfort, avec Dernier Éden, fabuleux jardin des supplices qui devait lancer en Europe la carrière de la compagnie Ariadone, troupe exclusivement féminine de la " danse des ténèbres ".
Formée à la danse moderne avant de rencontrer, à Tokyo, le groupe Dairakudakan et Kô Murobushi, Carlotta Ikeda a sillonné ces deux dernières décennies avec des créations en solo ou en groupe, qui ont su produire une constellation de chairs en métamorphose, où un érotisme grotesque parvient à épouser la dimension spirituelle de lextase.
Danse des profondeurs, symphonie silencieuse des entrailles de la terre et du corps, le Butô de Carlotta Ikeda est à la fois déflagration et distillation, il sacre léternel printemps des corps, en voyage vers ce point magique qui saurait confondre aube et crépuscule.
Interview de Carlotta Ikeda
Quels sont aujourdhui vos rapports avec le Bûto ?
C.Ikeda : Le Bûto est ma danse fondatrice, mais à lintérieur delle
jai creusé mon sillon de danseuse et de chorégraphe. Le Bûto est inscrit dans mon
corps, je nai plus besoin dy faire consciemment référence. Maintenant, je
cherche au-delà du Bûto. Dabord, mon corps a changé, il faut que je vive avec
lui... Je sens que je peux trouver une nouvelle manière de danser... Il me faut bouger à
lintérieur. Pourquoi et comment, je ne sais pas ... Je ne veux pas le savoir, mais
je sens cette nécessité.
Pourquoi un solo maintenant ?
C. Ikeda : Je ne veux rien expliquer. Le plaisir solitaire. Pourquoi pas ? Je sais
quil y a plus de désir en moi, mon corps attend quelque chose... Voilà, cest
ça mon sujet... Cest Onan, celui qui donne son nom à lonanisme, le
personnage biblique, le sensuel. La bible et la sensualité ... ça mintéresse les
mélanges. Mon corps désire la Mort peut-être, la marge de la vie. Je cherche même à
être en marge de la marge. Ce nest pas rien ... Mais ce nest pas non plus
quelque chose : CEST ... Il y a un désir qui vibre en moi, je cherche
lendroit où ça tremble ... lil du séisme ... je ne cherche pas à
lexpliquer, je sais que ça existe, je vis avec ... Cest peut-être cette
onde-là qui est le mouvement de ma danse.
Vous faites référence à Marguerite Duras. Quel est votre rapport avec son écriture
?
C. Ikeda : Quand je lis Duras, je ne comprends rien. Mais je sens des émotions très
fortes. Mon corps est tendu à la lecture de ses mots, je sens une force sans pouvoir
lexpliquer... Lénergie de Marguerite Duras est comme celle dun animal.
Ses mots sont comme des os et des muscles... Tout son corps est dans lécriture. ça
me touche... La lecture, ça aussi cest un plaisir solitaire, cest se voir à
lintérieur. Elle écrit cette phrase : "Il faut fermer les yeux pour voir
clairement". Jai besoin de voir dedans. Cest important pour moi, les yeux
ne sont pas là, posés sur le visage, ils sont creusés dans la tête, retournés dans le
corps... Cest ce quil y a dedans qui doit danser... Derrière cette recherche
dextase solitaire, sexpose la peur du vide, le rien, point de rencontre avec
une autre vie, avec la mort. Parfois, le vide emplit mon corps comme un désir de la mort.
Le DESIR... Il y a un désir qui vibre en moi, et je cherche depuis longtemps
lendroit précis où ça tremble... Cest peut-être cette onde qui est source
de ma danse.
Propos recueillis par Stéphane Vérité
76, rue de la Roquette 75011 Paris