Loop Me commence par une image très simple, presque un tableau, une silhouette capturée dans un cadre de lumière. Un portrait délicat qui lentement s'anime, et par petites touches devient corps en relief s'extrayant du cadre. De ses mains, des signes éphémères naissent dans l'espace, tels des idéogrammes qui le révèlent et l'agrandissent.
L'ouverture progressive de cette fenêtre va générer d'étranges apparitions : comme extraits de son corps, des doubles viennent peupler la surface d'un écran – ombres qui la suivent, reproduisent chacun de ses gestes, la démultiplient. Reproduction, répétition, arrêts sur image, retour rapide : le moindre mouvement est décomposé, disséqué, remonté.
Submergée par ses propres simulacres, « mise en boucle », la présence de la danseuse vacille et s'efface petit à petit. Au fil des croisements, des multiplications, un tourbillon entropique gagne la scène, entraînant les images dans un mouvement de perturbation et d'effacement.
Devant ces répliques saccadées, emportées par un pur défilement rythmique, le regard touche un point de vertige confronté à l'impossibilité de distinguer l'original de ses copies.
A travers le tournoiement du corps et de ses doubles, Loop Me interroge la reproductibilité à l'ère de l'image vidéo, la manière dont celle-ci façonne notre perception. La reproduction technique, sa capacité à isoler, à analyser chaque impulsion peut-elle remplacer les errements de la présence, sa continuité insistante, les failles qui s'y laissent voir ? Qu'est-ce qui est reproduit par la trace digitale, rythme, vitesse, plasticité ? Qu'est-ce qui est irrémédiablement perdu ?
Soutenue par un dispositif agissant comme un révélateur, la danse de Wen-Chi Su réveille les spectres d'images qui nous accompagnent, et pose le corps comme une inconnue en voie de disparition, dans une société du flux, de l'impermanent.
Encore : un titre qui entrelace les temps, celui de la fin, du rappel ; où résonne le corps à l'œuvre, sa durée, son insistance. Où l'on entend comme un écho de ce qui dans la danse ne s'arrête pas, mais chemine cet incessant passage de corps en corps qui constitue son histoire.
Parti de sa propre expérience d'interprète pour Wim Vandekeybus, Raimund Hoghe, Anne Teresa De Keersmaeker ou Steve Paxton, Vincent Dunoyer a choisi de se retourner, de regarder en arrière pour tenter d'apercevoir les archives sensibles, les tracés mouvants, les écritures singulières déposés en lui. Se tournant vers le futur, il a transmis ces mouvements à cinq danseurs, afin de reconstruire une nouvelle ligne chorégraphique, une trajectoire intime habitée par la mémoire.
Au fond de la scène, des images d'archives s'animent, éclairant leur recomposition au présent. Comme sur un bloc magique où les lignes effacées restent enfouies dans la cire, des fragments de danse ressurgissent et se ré-agencent sur le plateau. Un va-et-vient constant emplit l'espace, une respiration entre œuvres convoquées et geste en train de se faire, qui interroge et déplace la notion de répertoire.
Plutôt qu'un vocabulaire de formes figées, Vincent Dunoyer l'aborde comme un territoire sans cesse mouvant, ancré dans la singularité de chaque danseur. À travers ces empreintes déposées, les liens secrets qu'elles entretiennent, un portrait en creux se dessine, qui circule d'un danseur à un autre, se glisse dans un duo, persiste dans une absence.
On finit par se demander où est l'origine et où s'arrête le mouvement ? De quelle œuvre part-il et dans quel ensemble nouveau vient-il s'insérer ? Les vidéos elles-mêmes se font fluides. Elles se figent, reviennent, disparaissent, laissant progressivement la place à une inscription plurielle des réminiscences, comme dans la logique d'un rêve.
Des associations, des écarts, des blancs, des recouvrements, des répétitions. Ligne brisée, silence, suspension. On efface, on recommence... Encore.
Gilles Amalvi
36, rue de la République 93160 Noisy-le-Grand
Voiture : A4 depuis Porte de Bercy, sorties Noisy-le-Grand / Villiers-sur-Marne ou Noisy-le-Grand / Marne la Vallée puis direction Mairie.