Au fil des années, Dominique Boivin, aidé de sa compagnie Beau Geste, a su nous raconter la danse "à sa façon", tendre et ludique, pédagogique aussi. Une jolie manière de traverser le miroir et de voir comment la danse s’élabore. A quoi tu penses ? est né d’une autre rencontre, celle du danseur/chorégraphe Dominique Boivin et de l’auteur Marie Nimier.
Le spectacle se révèle être une véritable alchimie des mots – durs, tendres, cruels ou simplement beaux – de Marie Nimier et des mouvements imaginés par Dominique Boivin. Loin des effets d’illustration, la danse rattrape le texte, s’éloigne parfois ou lui tombe dans les bras.
Dans une première partie, il est question de patinage et d’amour – ah ! le fils de la caissière –, de cours de danse – "parce que j’ai des dispositions" – de corps libéré, et même d’appareil dentaire "comme si le fer des patins lui était remonté dans la bouche". Autant d’histoires qui inventent une carte du Tendre des années d’apprentissage de chaque adolescent(e). Yan Raballand et Stéphanie Félix sont ces patineurs d’un soir pris au piège de la langue charnelle de Marie Nimier.
S’en suit une "Audition", portée par Fanny Tirel, avec en voix off un chorégraphe redoutable, Boivin lui-même. Dans la tête de Trista/Fanny, des mots et des gestes, des doutes et des envies, une vie de danse qui défile. Nimier/Boivin saisissent ce principe d’incertitude propre à la danse, et c’est infiniment vrai.
"Solo", le duo de Cédric Lequileuc et Dominique Boivin, où il est question d’être seul même à plusieurs, dérive vers une certaine gravité montrant l’écriture de la danse comme un travail d’orfèvre, ciselé pour tout dire.
Quant à "La Balançoire", final grave et généreux, il exorcise les peurs de l’absence brodant autour du thème de la disparition. La danse évoque ce corps un instant vivant, et juste après mort. Relativité en somme.
A quoi tu penses ? est riche alors de ces questionnements et de ses fous rires, le coeur comme pris entre deux.
Ph. N.
"Si l'on admet qu'un danseur danse non seulement avec son corps, mais aussi avec son imaginaire, reposons les questions simples qui sont à la base de ces monologues. Que se passe-t-il dans la tête de celui qui danse, pendant les répétitions et pendant le spectacle ? Comment pense-t-il ses gestes, quels mots servent d'appui à sa chorégraphie ? Comment les mouvements sont-ils perçus, de l'intérieur ? D'où viennentils ? Quelles sont leurs histoires, et que voit le danseur pendant qu'il est sur la scène ? Voit-il cette femme au troisième rang qui tripote son collier de perles ? Remarque-t-il que son voisin regarde sa montre ?".
Avant de me plonger dans l’écriture des monologues, j’ai beaucoup parlé avec Dominique Boivin et les danseurs qu’il m’a présentés. Pourquoi avaient-ils choisi ce métier, comment travaillaient-ils, comment imaginaient-ils leur avenir, et petit à petit, au fil des témoignages et des lectures, se sont échafaudés les trois premiers monologues. Des monologues à toute berzingue, pour cultiver ce que la danse contemporaine affirme depuis une vingtaine d’années : la différence des danseurs au-delà des critères esthétiques et des figures imposées.
Marie Nimier
Le comédien, en scène lui aussi, permet une relation directe et chorégraphique entre la pensée faite corps et le danseur. Les espaces de l’un et l’autre s’interpénètrent, communiquent et tissent peu à peu une relation humaine. La relation s’établit sans chercher une narration appuyée, plutôt un type de connexion surréaliste qui mène à l’émotion ou bien au rire.
L’espace des textes de Marie Nimier me permet de jouer entre une écriture chorégraphique lyrique et réaliste. Ce va-et-vient arithmétique me donne une liberté d’action entre le comédien et le danseur.
Dominique Boivin
1, Place du Trocadéro 75016 Paris