« Le doute est un guide aussi puissant que la certitude. »
Quand j’écoute Le Sacre du printemps de Stravinsky, j’entends la certitude. Quand je lis des choses sur la vie de Stravinsky, son enfance, sa formation, son parcours d’artiste, je vois le doute. À mon humble avis, ce doute était une force de la nature chez Stravinsky, qui l’a propulsé vers la création d’œuvres comme Le Sacre du printemps, Les Noces et bien d’autres. Grâce au doute, il a réussi à transformer ou même remodeler ce que nous savions de la musique classique. Mais, plus important encore, il a réussi à changer la manière dont nous écoutions la musique classique, en créant une partition comme celle du Sacre du Printemps, qui a réussi à rompre tous nos sens.
Ce n’est donc pas une surprise pour moi que nous ayons été fascinés avec mon équipe de création, non seulement par sa musique mais aussi par Stravinsky lui-même, son enfance, son éducation, sa culture, sa voix et, surtout, son esprit.
Que pouvait-il bien exister dans cet esprit, en dehors des notes, des sons, des partitions ? En prenant la musique du Sacre du Printemps comme une source d’inspiration, je voulais créer une nouvelle pièce basée sur ce à quoi pouvait ressembler l’esprit de Stravinsky, sans utiliser la musique elle-même.
J’ai essayé de trouver des similitudes avec ma propre pensée, concernant la foi, le doute, la certitude, la peur, les rituels, la société et le sacrifice. Tout cela s’est finalement transformé en un rêve surréaliste !
Nous avons en quelque sorte voulu créer un « personnage abstrait » qui puisse presque représenter « Stravinsky » d’une manière moins littérale. Un personnage qui tente de changer les règles, qui essaie de montrer aux gens qu’il y a plusieurs chemins possibles et non un seul ; un personnage qui est à la recherche de sa propre voix hors du tumulte de la société.
En nous penchant désormais sur le processus créatif de iTMOi , nous nous rendons compte que l’un des thèmes les plus importants est le sacrifice. Quelque part au cours de ce processus de création, l’histoire d’Abraham, d’Isaac et de Dieu a ainsi imprégné la pièce. Toutefois, le travail d’un artiste révèle le plus souvent une part de vérité de cet artiste, autrement dit ce qu’il ressent à l’intérieur est généralement exprimé à l’extérieur à travers le travail qu’il crée. Et je me suis alors dit que, peut-être, ce sacrifice n’était pas seulement celui d’une jeune fille imaginaire dansant jusqu’à la mort, mais qu’il pourrait aussi être celui de Stravinsky lui-même, composant une musique qu’il jouerait jusqu’à en mourir... La mort par le public, peut-être, qui allait rejeter –ou pas– son chef d’œuvre fondateur et révolutionnaire ?
Je ne connais évidemment pas la vérité, ce ne sont que mes simples et étranges suppositions, formées à partir de ce que j’ai lu sur Stravinsky ; je considère qu’il n’est pas indispensable de connaître toute la vérité. Mais ce qui est absolument essentiel pour moi, c’est de rêver, d’imaginer, de créer le monde surréel de ce qui pourrait se passer « in the mind of Igor ».
iTMOi, création du chorégraphe Akram Khan, s'inspire du Sacre du printemps de Stravinsky.
Création musicale de Nitin Sawhney, Jocelyn Pook et Ben Frost.
Avec les Danseurs de l’Akram Khan Dance Company.
Musique enregistrée.
Le théâtre Sadler’s Wells de Londres a proposé à Akram Khan de célébrer, à sa manière, l’anniversaire du Sacre du printemps, oeuvre mythique créée au Théâtre des Champs-Élysées en mai 1913. Il y a fort à parier que de nombreux chorégraphes vont se confronter à ce monument musical et chorégraphique dans les années qui viennent. L’époque affectionne les relectures, visites et hommages.
Ce n’est néanmoins pas le chemin qu’Akram Khan souhaite explorer. Délaissant l’apport de Nijinski, il se concentre sur la partition de Stravinsky ou plutôt son impact fulgurant, sa rudesse, ses aspérités révolutionnaires qui bouleversèrent à jamais la composition musicale. Comment la beauté naît-elle du chaos ? De l’infâme ? Ce sera l’une des questions clés qu’il va tenter d’explorer.
Se tenant à l’écart des règles classiques, synonymes de mesure et d’harmonie, qui ont présidé à l’achèvement de ses pièces précédentes ; fort de l’immense succès de Vertical Road ou de Desh, l’artiste ambitionne de renouveler son processus créatif, d’inventer de nouveaux outils conceptuels et formels. Questionner ce que nous tenons pour acquis, aller au-delà des apparences, faire plus de place à l’imagination dans toutes ses dimensions métaphoriques et symboliques, s’écarter du naturalisme, autant de leçons qu’Akram Khan dit avoir « apprises » de Stravinsky, de son processus de travail, qu’il a patiemment étudié, mais aussi, de l’homme Stravinsky tel qu’il apparaît dans ses écrits.
Certes, ici ou là les effluves du Sacre originel se feront sentir, tel un lointain souvenir partagé, mais sa quête le porte plutôt sur les rives de l’invisible, de l’ombre, des forces sous-jacentes – disruptives et porteuses ’étrangeté – qui président aux destinées des oeuvres et des hommes.
15, avenue Montaigne 75008 Paris