L’exercice de la jongle n’est pas moins risqué que celui de la voltige. Avec UNTITLED_ (Sans titre), Alessandro Sciarroni en fournit les preuves. Les une, deux, trois et quatre massues jetées par les quatre jongleurs de la pièce sont comme les « vies » dans les jeux vidéo. Chaque massue tombée est une part de « vie » perdue, une perte, un pas vers la grande perte, vers la grande porte de sortie. UNTITLED_ dialogue avec la fin des fins, avec la Mort. La pièce n’est-elle pas sous-titrée I will be there when you die (Je serai là à ta mort). Qui est le « Je » mis en jeu ? Celui que le metteur en scène transfère au spectateur, qui vit au plus près la série d’épreuves auxquelles sont soumis les athlètes de la jongle. À chaque instant, Alessandro Sciarroni accroît le champ des difficultés, la complexité des échanges, la tension entre les participants.
Leur habileté autant que leur vaillance manifestent la résistance humaine à des défis tous azimuts. La jongle est autant un art du temps que de l’espace. Elle est une course de fond. UNTITLED_ se donne contre la montre ; sa fin programmée réside dans l’épuisement du sujet, et chaque minute de spectacle gagnée est une victoire donnée en partage. UNTITLED_ est un dialogue avec la Vie, avec toutes les relances et les recommencements possibles, une fable sisyphéenne. Les quatre jongleurs apportent leurs quatre couleurs, leurs quatre mélodies personnelles dans la combinatoire d’un « canon » visuel et musical sans cesse recommencé : rien de moins qu’un chant d’espoir.
UNTITLED_I Will Be There When You Die est une méditation performative et chorégraphique sur le passage du temps. C’est aussi une réflexion sur l’art de manipuler des objets avec dextérité : le jonglage. Second volet d’un projet de recherche plus large intitulé Will You Still Love Me Tomorrow ?, il s’inscrit dans une recherche engagée par l’artiste et performeur autour des concepts de lutte, de stabilité et de résistance. Dans Folk-s, Alessandro Sciarroni s’intéressait aux danses traditionnelles bavaroises et tyroliennes. Il avait demandé à un groupe de danseurs contemporains d’étudier les pas complexes du « Schuhplattler » (danse traditionnelle allemande où les danseurs frappent leurs chaussures avec leurs mains) et de les exécuter de façon obsessionnelle, figurant ainsi une métaphore de la lutte entre tradition et monde moderne. Dans sa nouvelle création, le jonglage évoque la fragilité de l’existence humaine. Les acrobaties des jongleurs se composent de différents types de tours.
Les combinaisons qui peuvent être créées sont presque infinies, grâce à l’association des variations physiques (jeté sous la jambe, le bras, au-dessus de la tête, etc.) et de la combinaison choisie. Le « passing » est un mode de jonglage. C’est aussi le tour le plus utilisé lors d’une rencontre entre plusieurs jongleurs. Alessandro Sciarroni souhaite dépouiller cet art du cirque des stéréotypes auxquels il est généralement associé. Il le travaille comme un langage à part entière, dans sa relation aux différents contextes culturels et à un environnement international. L’entraînement, les règles, la discipline, l’engagement et la concentration sont les éléments de base de ce travail forçant les interprètes à rester dans le temps présent, sans la possibilité de revenir en arrière, encore et encore.
« D’une certaine façon, cette mise à distance provoquée par la danse contemporaine et la performance […] ajoute un trouble dans le genre … jolie manière de jouer les trouble-fête. » Philippe Noisette, Les Inrockuptibles
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