« Que se serait-il passé si en 1963, la scène du voguing de Harlem avait rencontré celle de la danse post-moderne à la Judson Church ? ». De cette fiction de départ, Trajal Harrell a tiré une série de spectacles de tailles et de formats différents – allant du XS au XL – et développant chacun un nouage spécifique entre ces deux mouvements a priori éloignés.
Si le voguing, né dans la communauté noire homosexuelle, a repris à son compte les codes vestimentaires et les attitudes de la société dominante pour les détourner, les chorégraphes de la Judson Church cherchaient à travers l’analyse du mouvement une mise en critique des conventions spectaculaires. Le voguing et la danse post-moderne ne cherchent-ils pas tous deux à atteindre une forme de « realness », au moyen d’une déconstruction radicale des codes – que ce soient ceux du genre ou de la représentation ?
Entremêlant les questions esthétiques et politiques, Trajal Harrell nous offre ainsi un regard volontairement « impur » sur les influences hétérogènes qui travaillent la danse contemporaine.
La taille (L) déplace une nouvelle fois l’angle de lecture pour proposer un écart maximum : peut-on remonter le théâtre grec en faisant appel aux codes du voguing ? L’assimilation par cette danse de référents culturels allant des hiéroglyphes égyptiens aux postures de mannequin offre un biais pour approcher le contexte performatif antique – où les poses, le travestissement et la démesure étaient autant de stratégies servant à réfléchir l’état de la Cité. En traitant la figure d’Antigone – femme prenant position contre les lois, Antigone Sr. active un point de perturbation politique aussi bien que sexuel et formel : voguer Antigone au filtre de la Judson Church, pour réinventer un devenir physique plein d’ambiguités, injecter de nouvelles significations dans notre vision de l’Histoire.
Car le plus grand écart ne permet-il pas d’atteindre le plus grand effet de réalité ?
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