Sur le toit d’une tour de 49 étages, siège d’une société multinationale où il est interdit de fumer, les salariés se retrouvent en cachette pour griller la dive cigarette. La terrasse est donc le lieu où, des secrétaires aux chefs de services, tous viennent en catimini braver l’interdit.
Exacerbés par le climat, la pluie ne tombant plus depuis deux années, les caractères se révèlent. Progressivement les discussions rapprochent les uns des autres, la drague opère, les confidences se font, les liens se nouent, les intrigues se montent au gré des fantasmes et des rêves de chacun. Le toit de cette tour devient ainsi un théâtre où se jouent l’amour, le désir, le meurtre, le suicide…
Et du haut de ses 171,5 mètres, un tourbillon de sentiments entraîne chacun vers son destin. Seule la pluie tant attendue va délivrer ces personnages de leur propre sécheresse. Entre coups de tonnerre et éclairs, les passions se déchaînent alors.
Une comédie grinçante qui a obtenu le Molière de la meilleur pièce comique en 1999.
J’ai choisi cette pièce pour entendre rire les spectateurs. Ce n’est pas si courant de rire d’un sujet intelligent. Sergi Belbel est un auteur qui a ce rare talent!: aborder des sujets sérieux, graves même, qui ont au coeur de notre société moderne et les pousser jusqu’à une satire qui rappelle la mécanique de Feydeau et l’univers d’Almodovar, pour déclencher en nous un rire libérateur et salvateur. Un huis clos sur une terrasse à 171,5 mètres du sol. Le danger est constamment présent. Le jeu oscille entre attraction et répulsion du vide. En perpétuel danger, les personnages se croisent sans interruption, les scènes s’enchaînent sur un rythme précis et chorégraphié. La scénographie marque sur le plateau les bureaux en fond de scène, où sont présents tout au long de la pièce les personnages attendant leur entrée sur la terrasse.
L’auteur nous parle des personnages selon la fonction qu’ils tiennent dans l’entreprise!: directrice exécutive, programmeur informatique, secrétaires, coursier, etc. Et pour différencier les quatre secrétaires, il précise simplement la couleur de leurs cheveux!: la secrétaire blonde, la brune, la châtain et la rousse.
L’intrigue se noue et se dénoue mêlant fantasmes et réalité. Une distance qui nous renvoie avec force à notre vie quotidienne extrapolée, ici, jusqu’au grotesque – ce qui justement nous permet d’en rire!! Conditionnés par la machine «entreprise », les huit personnages s’en retrouvent « chosifiés » et stéréotypés. Les comédiens vacillent sur ce toit, composent leurs trajectoires selon le danger, le vide, un besoin de liberté et même une envie de voler. Un ensemble de circonstances qui exacerbe les humanités (en bien ou en mal) qui sont en chacun d’eux, pousse au paroxysme les frustrations, les égoïsmes, les instincts, la bêtise et par-dessus tout l’incommunicabilité.
Écrite en 1993, la pièce surprend par son côté visionnaire. Les sujets qu’elle traite sont ancrés dans la réalité d’aujourd’hui : cette curieuse atmosphère actuelle faite d’interdictions, de sentiments d’insécurité face à d’étranges accidents (ou attaques!?) d’hélicoptères ; une sécheresse persistante, signe manifeste d’un dérèglement climatique ; un monde du travail de plus en plus exigeant, dur, anxiogène et confinant chacun à la solitude le tout ayant pour décor une tour d’affaires, espace vertical et déshumanisé, qui ne manque pas de rappeler le World Trade Center et sa tragédie. Le texte fait aussi la part belle aux personnages féminins plus nombreux que les personnages masculins et aborde en cela un autre thème au centre de la société du XXIème siècle : l’évolution des rapports entres hommes et femmes.
Déborah Zrihen
6, impasse Lamier (angle 8 rue Mont Louis) 75011 Paris