Au bois dormant

du 4 au 9 juin 2009
50 minutes

Au bois dormant

Un spectacle comme le reflet d’une expérience intense. Celle qui amené Thierry Thieû Niang au contact d’adolescents autistes. Une expérience partagée avec l’écrivain Marie Depleschin et le compositeur Benjamin Dupé, sous le regard complice de Patrice Chéreau. Dans une infime correspondance entre mots, musique et danse.

Danse / théâtre
Le reflet d’une expérience
Un corps à corps avec la danse elle-même
Faire ambassade
Le regard extérieur

  • Danse / théâtre

Un spectacle comme le reflet d’une expérience intense. Celle qui amené Thierry Thieû Niang au contact d’adolescents autistes. Une expérience partagée avec l’écrivain Marie Depleschin et le compositeur Benjamin Dupé, sous le regard complice de Patrice Chéreau. Dans une infime correspondance entre mots, musique et danse. Rencontre inédite entre un chorégraphe, un auteur, un musicien et un metteur en scène. Thierry Thieû Niang, chorégraphe va écrire et danser un solo chorégraphique, à partir d’une expérience de temps de danse partagés, en duos, avec quatre adolescents autistes de l’Institut médico-éducatif Les Parons à Aix-en-Provence.

Marie Desplechin, écrivain va suivre le processus de création, écrire sur ce qu’elle aura ressenti et compris de la démarche, observer le travail d’atelier d’improvisation avec les adolescents et écrire un texte. Le propos est de faire vivre sur un même espace et en parallèle le travail dansé du chorégraphe, la perception de l’auteur sur l’acte artistique de ce dernier et les ponts secrets et imaginaires qui les relient encore, en creux, aux quatre adolescents. Patrice Chéreau, metteur en scène et Benjamin Dupé, musicien les accompagneront pour inventer, à partir de ce rapport singulier, une écriture scénique plurielle, texte, musique, mouvements.

« Quand rien ne vient de la parole, il vient toujours quelque chose du corps. Chercher du dehors celui qui est dedans, c’est ce que j’ai tenté lors des rencontres avec chacun des quatre adolescents. On dit que ces corps sont privés de gestes et pourtant, des gestes, il en arrive de partout. Des gestes qui mettent en vie un corps. Un fragment de paupières, un soupir, des muscles qui vibrent, la cheville qui tremble, les orteils qui se soulèvent. Jamais, je n’ai vu autant de gestes, d’aussi beaux gestes : gestes nerveux, lignes claires dans l’espace ou mouvements brisés, lenteur ou immobilité, arabesques maladroites, torsions enroulées, formes éphémères, torsions des bras ou des jambes. L’envol des bras, le balancement du buste, les doigts qui se détachent de la main ou encore la tête qui roule d’une épaule à l’autre. Un corps hors de lui. Un lieu du monde. » Thierry Thieû Niang

Marie Desplechin : texte et interprétation
Thierry ThieûNiang : chorégraphie, interprétation
Benjamin Dupé : musique
Patrice Chéreau : regard extérieur

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  • Le reflet d’une expérience

En 1994, le jeune autiste allemand Birger Sellin utilise une méthode de communication assistée par ordinateur pour décrire les sensations qui le traversent. Avec l’aide d’un journaliste, il écrit et publie un livre dont le titre allemand – Je ne veux plus être à l’intérieur demoi, traduit en français par Une âme prisonnière – dit assez à quel point il éprouve la violence de son sort. La question de savoir si Birger Sellin est le véritable auteur de ses phrases reste aujourd’hui un sujet de controverse, bien que tout le monde semble s’accorder sur la justesse des descriptions.

Celle-ci par exemple (ponctuation respectée) : « Il est absurde de croire que les autistes sont moins intelligents que d’autres muets profonds nous ne pouvons pas parler parce que notre agitation est extraordinaire, même énervante l’agitation est indescriptible et doit demeurer sans expression appropriée parce que les hommes de dehors ne l’ont pas éprouvée et n’ont pas été capables de lui donner un nom je l’appelle les profondeurs de-la-puissance-d’agitation. Je ne connais presque jamais de moments sans cette agitation. »

Une des preuves de cette intelligence est que Birger Sellin apprit à lire tout seul, dès l’âge de cinq ans, alors même que les premiers signes d’éloignement de la sphère de la parole commune le touchèrent dès deux ans.

Le témoignage de Birger Sellin est un de ceux qui ont aidé le chorégraphe Thierry Thieû-Niang et l’écrivain Marie Desplechin à approcher quatre adolescents autistes. Ils ont expérimenté la possibilité de rentrer en contact, non par la parole, mais par le geste, avec ces garçons si profondément engloutis dans leur monde, monde dont nous sommes absolument et pour toujours séparés, comme le répète avec un effroi constant Marie Desplechin dans le texte qu’elle a écrit pour le spectacle qui allait naître de cette expérience, Au Bois Dormant. Même l’empathie nous est interdite, parce qu’il nous est absolument impossible de se mettre à leur place. Donc Thierry était dans le studio, une salle de l’hôpital Montperrin d’Aix-en-Provence, accueillait les adolescents, essayait de les rejoindre, à un endroit ou autre. Marie était là, assise dans un coin, un carnet de notes avec elle qu’elle n’a jamais ouvert parce que voir était suffisant, et que le souvenir ne s’effaçait pas.

« Souvent quand l’adolescent entrait, Thierry était déjà là, allongé dans la salle, concentré sur sa présence. Et puis il essayait de trouver un contact avec eux. Parfois, ce n’était pas possible, pendant des jours. Il essayait des choses, par exemple il reprenait leurs gestes, leurs stéréotypies, et il les répétait ailleurs, autrement. Parfois, il ne se produisait rien pendant les séances, et parfois si, quelque chose d’incroyable arrivait. Il y avait un des adolescents qui se bouchait en permanence les oreilles, probablement parce qu’il souffrait de synesthésie. Thierry le faisait tomber, entassait des choses près de lui, ou sur lui, et ça ne produisait jamais rien qu’un minuscule sourire. Et lors de la dernière séance, l’adolescent s’est mis à danser autour de lui, il y avait une sorte de joie dans l’air, de jubilation gazeuse. Mais après, bien sûr, il est revenu à l’état d’avant.

Un autre adolescent tournait tout le temps sur lui-même. Une fois, il s’est assis près d’un mur. Thierry a fait un arc, les mains sur lui, les pieds sur un mur. L’adolescent n’a pas bougé, et quand il a bougé, il l’a fait lentement, avec précaution. On peut dire que ce n’est pas grand-chose, et objectivement ce n’est pas grand-chose, mais tous ceux qui regardaient cela, les éducateurs, moi, nous avons été bouleversés, parce que c’était la preuve qu’il y avait un pont entre le garçon et Thierry, même fragile, même provisoire »

C’est autour de cette expérience de la séparation que, une fois rentrée chez elle – « parce que j’ai besoin d’être seule pour écrire, parce que j’ai besoin de lenteur et de maturation, pour garder ce qui doit être gardé », – Marie Desplechin a écrit le texte qu’elle lit pendant le spectacle : un texte où la figure du fleuve vient marquer la terrible frontière creusée entre un monde et l’autre. Dans le même temps, Thierry Thieû Niang s’isolait dans un studio pour élaborer un souvenir gestuel de cette expérience, dont il donne une description très claire : « On dit que ces corps sont privés de gestes et pourtant des gestes, il en arrive de partout. Ce sont des gestes qui mettent en vie un corps. Un fragment de paupière, un soupir, des muscles qui vibrent, la cheville qui tremble, les orteils qui se soulèvent. Jamais auparavant auprès des autistes, je n’ai vu autant de gestes, d’aussi beaux gestes : gestes nerveux, lignes claires dans l’espace ou mouvements brisés, lenteur ou immobilité, arabesques maladroites, torsions enroulées, formes éphémères, torsions des bras ou des jambes. L’envol des bras, le balancement du buste, les doigts qui se détachent de la main ou encore la tête qui roule d’une épaule à l’autre. »

La formation de psychomotricien de Thierry Niang a sans doute joué un rôle dans le souci très précis qu’il manifeste de saisir dans les gestes de l’autre l’expression d’une identité, d’une individualité. Ensuite, c’est lors d’une résidence à Châteauvallon qu’ont été mis en commun ces deux traces, l’une écrite par Marie, l’autre dansée par Thierry, de la rencontre provisoire, quelque chose comme un frôlement plutôt, avec Arnaud, Matthieu, Victor et Emilien, les quatre adolescents autistes. À Châteauvallon, il y avait aussi le musicien Benjamin Dupé et le metteur en scène / cinéaste Patrice Chéreau, qui fit notamment office de répétiteur pour Marie Desplechin.

« Le premier jour, ils m’ont demandé de leur lire le texte. Je l’ai lu et Patrice m’a dit : on n’entend rien. Il l’a pris, il a lu une phrase, et en effet on entendait, ça résonnait. Il m’a donné quelques trucs sur comment dire. Il nous a aussi aidés à trouver nos places dans l’espace, à Thierry et à moi, à nous partager le plateau, à y être ensemble. Et c’est ce que j’aime. Au fond, je n’ai pas peur avant d’entrer sur scène. J’aime la qualité de ces personnes qui travaillent ensemble, j’aime le bonheur d’être ensemble. »

Le bonheur d’être ensemble, c’est probablement ce qui manquait à Arnaud, Matthieu, Victor et Emilien, et que la danse a essayé de leur offrir, ne fût-ce qu’une étincelle d’instant.

Stéphane Bouquet

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  • Un corps à corps avec la danse elle-même

À partir d’une expérience autour du mouvement dansé avec de jeunes autistes, j’ai souhaité inviter l’écrivain Marie Desplechin à suivre plusieurs séances de travail et observer puis écrire ainsi ce qui se joue d’une relation dansée de « ce corps à corps avec la danse elle même » sous la forme des duos. C’est recueillir les moindres gestes et mouvements disparates des quatre adolescents – Arnaud, Mathieu, Emilien et Victor, ils ont entre 14 et17 ans - pour révéler le potentiel artistique d’une danse mystérieuse. En accompagnant l’adolescent dans l’espace, je peux l’aider à élargir son potentiel de gestes et tenter de rendre cohérent le rapport à l’espace et à l’un et l’autre. En le tenant par la main par exemple, en poussant son pied, le reste du corps, à même la peau, je permets que le tactile et le visible créent un rapport, une circulation entre toucher et être touché.

La danse est l’art qui a lieu dans le corps. Quand rien ne vient de la parole, il vient toujours du corps. Un corps hors de lui-même. En bougeant l’adolescent autiste ne visualise pas tout le temps ce que le corps est en train de faire mais ce que j’ai pu observer c’est qu’à certains moments fugaces, la perception peut-être intensifiée et rendue vivante. Ce corps est le lieu du surgissement et de l’échappement du sens.

Un corps autre se joue et se rejoue à travers le mien. Il le traverse, le mobilise, l’agite ou le calme. Par la présence dansée du duo - l’autiste et l’artiste - c’est commencer un voyage du corps vers un autre chaos. L’informe chez l’autiste ouvre pour l’artiste un espace d’exploration, de remise en cause des hiérarchies habituelles et d’approche critique du réel comme du symbolique. Même si un enfant ne s’exprime pas par la parole, il s’exprime par son corps ; un corps hors de lui-même, lieu de surgissement et d’échappement du sens.

L’atelier que je propose n’est pas une approche technique de l’art chorégraphique, mais un travail de présence au corps ; un “corps à corps” avec la danse elle-même permettant d’accueillir le mouvement dans l’espace en relation avec d’autres corps, en d’autres langages. Faire danser un autiste - en dansant avec lui, en le dansant - c’est chercher du dehors pour celui qui est en dedans. C’est permettre de saisir, de se saisir, de s’emparer du dehors et aller à la rencontre du dedans. Je propose aux adolescents en situation de handicap - d’empêchement – de questionner leur mouvement : faire corps pour faire sens et signe à la fois, prendre conscience de ce qui existe et travailler avec le ici et maintenant des présences, des espaces entre les corps dansants, ce qui arrive et échappe du mouvement. Nous laissons les corps faire “par hasard” avec la lumière et le son, le volume et le poids, la géométrie et les couleurs…

En accompagnant l’adolescent dans l’espace, je peux l’aider à élargir son potentiel de gestes et tenter de rendre cohérent le rapport à l’espace, à l’un et l’autre.

En le tenant par la main, en poussant son pied, le reste de son corps, à même la peau, je permets que le tactile et le visible créent un rapport, une circulation entre “toucher” et “être touché”. Travailler la notion d’écart, d’irrégularité du corps, du langage, c’est mettre en relation le geste comme une présence à soi, une “pensée du geste”. On dit que ces corps sont privés de gestes et pourtant, des gestes, il en arrive de partout !

Ce sont des gestes qui mettent en vie un corps. Un fragment de paupière, un soupir, des muscles qui vibrent, la cheville qui tremble, les orteils qui se soulèvent, lignes claires dans l’espace ou mouvements brisés, lenteur ou immobilité, arabesques maladroites, torsions enroulées, formes éphémères, torsions des bras ou des jambes…L’envol des bras, le balancement du buste, les doigts qui se détachent de la main ou encore la tête qui roule d’une épaule à l’autre…Jamais je n’ai vu autant de gestes, d’aussi beaux gestes !

Thierry Thieû Niang

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  • Faire ambassade

Quand j’ai regardé Thierry Thieû Niang danser avec les adolescents, je me suis demandé qui attirait l’autre dans son jeu. Etait-ce Thierry qui conduisait Mathieu ou Emilien à son mouvement ? Ou était-ce l’adolescent qui l’emmenait jusqu’à lui, lui imposant doucement les gestes qui conviendraient ? Du danseur ou des adolescents, lequel était joueur de flûte ?Qui, exactement, menait la danse ? Thierry était la puissance invitante : c’était à son initiative qu’ils se retrouvaient. Il proposait le jeu commun, et il initiait les mouvements. Mais c’était Mathieu ou Emilien, le roi, le prince de royaumes désolés, qui l’invitaient à se produire autour d’eux. Ils recevaient ses gestes comme autant d’hommages inquiets à la toute puissance de leur malheur. On aurait dit qu’ils consentaient à y répondre, et manifestaient leur contentement avec une réserve effrayée.

C’était une chose fascinante de voir se passer ces deux événements simultanément. Soudain, il n’y avait plus de bon et de mauvais monde, le bon monde du partage contre le mauvais monde de l’isolement. Le mauvais monde n’était pas aboli miraculeusement au profit du bon. C’était plutôt comme d’assister à la naissance d’une grande entreprise diplomatique. Ou à l’instauration d’une zone pacifiée où il serait possible, un temps, de se retrouver. Et cela, certainement, était dû à la danse.

Je me suis figuré que la danse venait avant. Avant la sculpture, avant la peinture, avant la Musique même. Qu’elle arrivait d’abord, dans l’histoire de tous et de chacun. Elle était tellement ancienne qu’il n’était pas possible d’en garder la trace, sauf à supposer qu’un autre art, un art de la représentation, la peinture par exemple, s’en charge.

Pour la danse, en somme, c’était tout de suite et puis plus jamais. C’était à répéter encore et encore. La danse ne disait pas, elle ne représentait pas. Pas de mot. Pas d’image. De l’instant, du mouvement, du souffle, de la répétition. J’ai pensé que la danse était peut-être l’ambassade la plus intelligente pour établir des passerelles entre les mondes, entre le monde des enfants, de Mathieu ou d’Emilien par exemple, et le nôtre, celui de Thierry et le mien par exemple.Des ambassades et c’est tout. Pas de civilisation, pas de colonisation, pas de progrès en vue.

Une rencontre heureuse, dont la plus grande réussite serait de faire naître le désir d’une autre rencontre, son attente. Je me suis souvenue de deux maximes de Clément Rosset. « La nature des choses consiste en les choses, et en elles seules. Il n’est, il n’a jamais été ni ne sera jamais de présence que du présent » Et « Sois l’ami du présent qui passe, le futur et le passé te seront donnés par surcroît. »

J’ai lu, dans un texte littéraire écrit par des personnes non autistes, qu’on ne savait rien sur l’autisme. Une énigme. Un mystère. Rien quoi. Mais ce n’est pas ce que disent les livres écrits par des personnes autistes. Ce que Thierry et les adolescents en dansant montrent ce n’est pas rien, c’est autre chose. C’est par exemple que le danseur vit dans un monde de règles, de règles terribles, inutiles et même aberrantes, mais qu’il s’applique avec fermeté. Le danseur a sa règle et ses raisons. Ce sont les siennes, voilà quelque chose qu’on peut comprendre quand on vit soi-même enfermé dans ses règles et sa raison. C’est aussi que le danseur décide de ses gestes et qu’il les répète. Qu’il soit dans une salle, ou qu’il soit sur une scène, qu’on fasse mine de s’intéresser à lui, ou de l’ignorer, on est à peu près certain qu’il va continuer. Encore une chose que l’on peut reconnaître, quand on passe sa vie à persévérer.

Le danseur n’envoie pas de signaux. Son corps ne cherche pas à dire une chose qu’il faudrait comprendre, à laquelle il faudrait répondre. Son visage n’adresse pas de sourire, ne vous cherche pas des yeux. Il n’attend rien, peut-être. Il n’y a rien à attendre de lui, peut être. De sorte qu’il ne craint rien, et qu’il n’y a rien à craindre de lui. Le danseur veut bien se manifester comme un objet vivant. Il veut bien courir tout seul (ou avec vous), tendre la main sans vous (ou avec vous). Il est souple comme une corde, doux comme un coussin, rebondissant comme une balle. Il tombe, il dégringole, il se laisse prendre et plier. C’est à ses conditions qu’il devient possible de courir avec lui, de prendre sa main à lui, de se coucher sur son corps, de monter sur son dos. Le danseur n’est pas un sujet qui s’impose.

Enfin, parce que j’aime lire ce qui a été écrit à l’attention des enfants, par des gens qui n’étaient pas tout à fait en règle avec le monde commun, j’ai pensé aux contes. Ce n’est qu’après avoir relu Rapunzel, La Petite Sirène, La Reine des Neiges que j’ai réfléchi à l’intitulé de ce travail, « Au bois Dormant ». J’avais peut être été guidée. Peut-être aussi les contes sont-ils les mieux à même d’ordonner l’énigme, le mystère, le rien, ou l’autre chose.

Pour nous en tout cas qui obtenons des images et des mots qu’ils donnent forme à ce qui nous entoure.

Rapunzel est enfermée seule au sommet d’une tour construite sans aucune ouverture. Elle laisse pendre par l’unique fenêtre la longue tresse des cheveux qu’elle a laissés pousser.
Pour rejoindre celui qu’elle aime, La Petite Sirène a obtenu de la sorcière qu’elle lui donne des jambes. En paiement, sa langue sera coupée. Incapable de parler, elle l’est aussi de se faire comprendre, et de se faire aimer. Elle finit par se fondre dans les filles de l’air.
Le petit Kay a été frappé au cœur et dans les yeux par les éclats du miroir diabolique tombé du ciel. Privé de toute émotion, il marmonne des chiffres. Il est emporté par la Reine des Neiges dans un palais de glace où il meurt doucement de froid.

On gardait trace, dans les contes, de ces enfermements. Ils y prenaient la forme d’un destin et puis d’une aventure. À leur manière, les contes ouvraient des passages entre les mondes. À bon entendeur.

Si Thierry me proposait d’intervenir avec ce matériel plutôt inopérant, les mots, c’est une chose que je pouvais tenter. Un texte qui se rapproche des contes, qui leur emprunte. Sans savoir très bien à qui il s’adresserait pour finir, ni à quel objet apaisant il pourrait à son tour s’apparenter. Un texte qui tenterait de faire ambassade.

Marie Depleschin

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  • Le regard extérieur

Marie Desplechin et Thierry Niang vont travailler ensemble . Il m’ont demandé d’être pour eux un regard extérieur. C’est quoi un regard extérieur ? Comme son nom l’indique, c’est quelqu’un qui regarde de l’extérieur. De l’extérieur du travail, de l’extérieur des choses, quelqu’un qui, délivré du fardeau du travail et du « que faire » et « comment le fabriquer », se met simplement à dire : voici ce que je vois, voici ce que je ne comprends pas, peut-être qu’il faudrait mettre les morceaux que vous avez assemblés dans un autre ordre, autrement, peut-être dans un autre espace, une autre lumière. Quelqu’un d’agaçant, qu’on a parfois envie de ne pas écouter mais dont nous savons tous qu’il est nécessaire. Regarder, écouter, juste dire ce qu’on voit et qu’on comprend, proposer à l’occasion une idée, un parcours, des questions. Thierry Niang, m’a fait donc cette proposition inhabituelle pour moi et stimulante : être cette personne qui regarde et qui s’étonne – ce qu’il a été, lui, tant de fois pour moi – celui qui ne sait pas mais qui peut aider ceux qui sont sur scène et ne se voient pas. Donc deux personnes que je connais et que j’admire et que j’aime voir ensemble.

Marie Desplechin, dont je connais l’écriture, dont j’admire les livres et, plus encore si c’est possible, la personne qu’elle est, son regard sur les gens, son aptitude à raconter le réel avec son humour et sa vitalité. Une amie avec qui j’espérais pouvoir travailler un jour, avec elle, autour d’elle, sans savoir comment. Et Thierry Niang, dont je connais le travail depuis quelques années maintenant et qui m’a accompagné dans les trois derniers spectacles que j’ai faits, Così fan tutte, De la Maison des Morts et Tristan et Isolde. Trois opéras où il s’agissait toujours pour nous de faire parler les corps. Ma découverte de son travail : la particularité de son trajet, sa connaissance du plateau, l’acuité de sa pratique - stupéfiante quand on le voit travailler avec les enfants autistes qu’il amène à la danse, à une forme de langage et de réponse rien qu’en dansant avec eux.

La beauté tranquille de son langage chorégraphique, sa capacité à faire improviser des acteurs, à savoir regarder les gens – acteurs, chanteurs, tous. Gratitude pour ce travail commun que nous avons fait cette année à Vienne et Aix-en-Provence, cette Maison des Morts de Janacek avec Pierre Boulez dont nous avons fait la mise en scène ensemble, attentifs, je crois, l’un à l’autre, prenant soin toujours de regarder ce que faisait l’autre, ce qu’il aimait et ce qui le dérangeait.

Et ces deux personnes-là vont travailler ensemble aujourd’hui, et voici qu’elles m’ont demandé de les regarder, simplement de dire ce que je vois, ce que j’imagine, non pas pour me substituer à eux, mais juste proposer des pistes, une dramaturgie peut-être, imaginer un espace avec eux, des lumières. C’est un travail désintéressé et nouveau, je ne l’ai jamais fait pour personne et j’ai eu envie ici d’accepter. C’est la compagnie de Thierry Niang qui fait tout, Marie et Thierry parlent, se parlent, les enfants autistes les réunissent, l’une écrit, l’autre danse, et moi, je me rajoute. Et je les regarde.

Patrice Chéreau

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Spectacle terminé depuis le mardi 9 juin 2009

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