« Qu’est ce que tu penses de la situation de l’Afrique aujourd’hui ? »
Entretien avec Serge Aimé Coulibaly
La presse
Nkrumah le Ghanéen au rêve panafricaniste, Lumumba du Congo de l'indépendance, Sankara du « pays des hommes intègres », Mandela l'icône universelle d'une Afrique du Sud soudain modèle d'une improbable réconciliation... Quatre étoiles dans un ciel africain souvent troublé de douleurs et de catastrophes, de cumulo-dictateurs, de foudres, d'orages et de désespoir... Quatre phares pour un monde en quête de (re)pères.
Dans ces quatre figures emblématiques, dans leurs justes colères, dans leurs rêves inaboutis, dans leurs utopies flamboyantes et dans leur destinée tragique, Serge Aimé Coulibaly voit le sursaut d'une dignité retrouvée, le modèle d'un destin à reconquérir, l'élan d'un réveil d'avenir.
Entouré d'artistes aux multiples talents, accompagné de l'arc-en-bouche de Tim Winsé et de la voix d'une griotte invitant à la balade (à la ballade !) dans l'univers musical mandingue, Serge Aimé Coulibaly donne l'image d'une Afrique des possibles. D'un univers dévasté surgit l'espoir des lendemains et à l'Afrique des drames et des misères, le chorégraphe et danseur offre soudain l'espérance tenace d'une Afrique des Lumières.
Musiciens : Sana Seydou Khanzai, Timbiri Winsé, Benjamin Collier
Chanteuse : Djénéba Koné
Bernard Magnier : Vous avez choisi de célébrer dans votre spectacle quatre grandes figures de l’Histoire africaine de la seconde moitié du XXe siècle : Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah, Thomas Sankara et Nelson Mandela. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de votre choix ?
Serge Aimé Coulibaly : Au départ, j’avais fait un choix beaucoup plus large de personnalités, dans différents domaines. Il y avait, parmi d’autres, Cheikh Anta Diop, Aminata Traoré, Steve Biko, Cheikh Modibo Diarra, Amilcar Cabral, Fela Kuti, Wangari Maathai, Samuel Eto’o (*), etc. J’ai finalement choisi ces quatre figures à cause de la situation politique de l’Afrique mais aussi pour l'effet que ces noms produisent sur la jeunesse africaine d'aujourd'hui. Ce sont ces hommes que la jeunesse africaine considère comme ses héros contemporains. Je les ai choisis aussi, bien sûr, parce que ce sont des visionnaires et que j'adhère à leur lutte pour l'émancipation des populations, pour la liberté, pour une plus grande prise de conscience de leur peuple sur la situation réelle de leur pays et du continent.
Pouvez-vous nous dire ce que représente pour vous chacune de ces personnalités ?
Nkrumah est le père de la décolonisation du Ghana, le premier état indépendant de l’Afrique au sud du Sahara. Il est aussi le père du Panafricanisme et le fondateur de l’Organisation de l’Unité Africaine. Il voulait créer les Etats-Unis d’Afrique. Près de 50 ans plus tard, son message est toujours d’actualité et l’Union africaine a bien du mal à se mettre en place…
Lumumba est le symbole de la lutte anticoloniale du Congo. Il voulait se débarrasser de la tutelle européenne, lutter contre la corruption et surtout réorganiser la répartition des ressources du pays. Le Congo aujourd’hui est dans un état de délabrement total qui fait qu’on est obligé de lui donner raison.
Après les mouvements des indépendances, Sankara est le chef d’état africain qui a suscité le plus d’espoir. En quatre années de pouvoir, il a rendu excédentaire le budget d’un des états les plus pauvres de la planète. Il a montré au monde qu’il était possible de fonctionner sans l’aide de l’Occident, en comptant sur ses propres forces et ressources.
Mandela est la figure africaine unanimement reconnue dans le monde. Pour moi, il est le symbole de la lutte indéfectible mais surtout de la tolérance. Il est celui qui a su, après 27 ans de prison, prendre le pouvoir et dire : « il faut qu’on se pardonne ».
Trois de ces figures sont décédées, dont deux de mort violente. Mandela est âgé de 90 ans. N’y a t’il pas, aujourd’hui, de grandes voix africaines ?
On a effectivement l’impression, aujourd’hui, que l’Afrique n’a pas de dirigeant d’envergure capable de faire des changements fondamentaux qui permettraient à leur pays de se développer. Très peu de dirigeants sont attachés à lutter contre la pauvreté, le sous-développement. Ils semblent davantage guidés par la soif du pouvoir et l’enrichissement personnel. Et, malheureusement, tous ceux qui ont essayé d’aller à contre-courant, de penser d’abord au bonheur de leur peuple et de lutter contre l’impérialisme et le néocolonialisme, ne sont pas restés longtemps au pouvoir. Aujourd’hui, je ne vois pas quelle autre personnalité au pouvoir pourrait être un symbole d’espoir en Afrique. Il y a, bien sûr, des hommes et des femmes capables de changer les choses dans nos pays mais ce ne sont malheureusement pas eux qui tiennent les rênes du pouvoir. [...]
Évoquer ces figures par le biais de la danse demeure un défi…
C’est un vrai challenge, mais on peut voir les choses sous un autre regard, par une autre fenêtre, par la prestance, par la virtuosité dans les mouvements… Ainsi présentées autrement, les choses du quotidien peuvent devenir brillantes, exceptionnelles. Je dois ajouter que la parole reste un élément important dans mon travail chorégraphique. Les danseurs sont des personnages qui bougent, qui parlent, qui chantent, qui vivent autrement la vie sur scène. Papa Kouyaté est sans conteste un des scénographes les plus inventifs en Afrique de l’Ouest. Il est aussi très engagé dans la lutte pour l’émancipation économique et culturelle des populations au Burkina Faso. Il a déjà travaillé sur les figures historiques africaines en art plastique. Je voulais que le spectacle Babemba soit porté par des artistes qui sont, eux aussi, exceptionnels dans leur domaine, qui ont un certain engagement social et qui sont à la recherche de voies nouvelles.
Quelle sera la place de la musique dans votre spectacle ?
Si je devais donner un pourcentage, je dirais 45 % de musique et 55 % de danse. La musique est un élément que nous allons créer ou recréer au même titre que la danse. Mais pour moi, Babemba est un ensemble dans lequel s’entremêlent la musique, la danse, la parole, le jeu, la scénographie.
Vous avez également fait appel à une griotte, pourquoi ce choix ?
Les grandes musiques classiques mandingues sont très anciennes, elles datent d’avant la pénétration coloniale, certaines remontent au XIIIe siècle, à l’époque de Soundjata Keita. Ces musiques et ces chants parlent d’amitié, de bravoure, de loyauté, de démocratie. C’est pour cela qu’il est important qu’il y ait une griotte dans le spectacle. Les griots sont détenteurs de l’histoire en Afrique de l’ouest, ce sont eux les maîtres de la parole. Ce sont eux qui encouragent les hommes quand ils vont au combat et ils sont reconnus pour leur grande sagesse. J’ai choisi, Djeneba Koné, une très jeune griotte de dix-huit ans qui a une voix exceptionnelle. Elle représente l’avenir de l’Afrique.
Votre spectacle s’intitule Babemba. Pourquoi ce titre ? Quelle en est la signification ?
Babemba comme… Babemba Traoré, le héros de la résistance aux forces coloniales. Il est né en 1855 et il s’est suicidé à Sikasso en 1898, après la défaite, préférant la mort à la honte. Ce geste et la résistance qu’il a opposée à l’armée coloniale ont fait de lui un héros. Pour moi, Babemba Traoré se trouve à la frontière entre cette Histoire que nous voulons évoquer et nos héros contemporains. Le titre Babemba est à entendre comme un appel. Et si je devais donner un sous-titre ce serait : « Qu’est ce que tu penses de la situation de l’Afrique aujourd’hui ? ».
Propos recueillis en février 2008
"Sur des mélopées mandingues, les éclats de danse qui écharpent Babemba se révèlent tous d'une facture singulière, souple et syncopée, fluide et guerrière. (...) Entre revendication politique, défaite quotidienne et rêve d'harmonie, Babemba nous met de plain-pied avec le débat africain, au-delà de toute couleur de peau." Rosita Boisseau, Le Monde, 5 juillet 2008
"L’impact est poignant sans être brutal, la virulence dépourvue d’agressivité : l’énergie qui traverse Babemba, contenant juste ce qu’il faut de nervosité, tient les corps dans une danse célébrant avec justesse les luttes que menèrent quatre grandes figures de l’Afrique. (...) La superbe voix de Djeneba Koné (une très jeune griotte de dix-huit ans) semble à la fois accompagner, inciter et modérer la progression des danseurs, donnant une réelle densité aux évolutions chorégraphiques." Agnès Jaulin, theatreonline, 7 juillet 2008
"Le spectacle (...) réserve des moments d'émotion brute et d'espoirs légitimes qui donnent une voix à la jeune création, aficaine oui, mais universelle." Caroline Six, Lemagazine.info, 4 juillet 2008
" Deux prodiges du Burkina Faso, Kanzaï à la guitare et Domba Sanou à la kora, tissent des sons délicats autour des airs mandingues traditionnels. La jeune chanteuse Djénéba Koné sublime ce répertoire griot." Maxime Landemaine, Pariscope, 25 juin 2008
(*) Les autres personnalités
Cheikh Anta Diop (1923-1986), intellectuel sénégalais, chercheur à l’IFAN, auteur de Nations nègres et cultures, L’Unité culturelle de l’Afrique noire, Antériorité des civilisations nègres.
Aminata Traoré (née en 1947), militante alter-mondialiste malienne, ancienne ministre de la Culture, auteur de L’étau, Le viol de l’imaginaire, L'Afrique humiliée.
Steve Biko (1946-1976), leader étudiant et héros de la lutte contre l’apartheid en Afrique du sud, mort en prison en 1976.
Cheikh Modibo Diarra (né en 1953), astrophysicien malien, a travaillé à la NASA, chef du département Afrique de Microsoft.
Amilcar Cabral (1921-1973), homme politique bissau-guinéen, fondateur du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et des îles du Cap-Vert et chef de la lutte armée, mort assassiné en 1973.
Fela Anikulapo Kuti (1938-1997), musicien nigerian, inventeur de l’afro-beat, très impliqué dans le discours politique.
Wangari Muta Maathai (née en 1940), militante écologiste kenyane, prix Nobel de la Paix en 2004.
Samuel Eto’o (né en 1981), joueur de football camerounais, avant-centre du F.C. Barcelone.
C'était génial A ne pas RATER!!! La musique la Choegraphie et la Voix Frissonnante de la chanteuse
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