Présentation
Note de mise en scène
«Je ne sais pas s’il est possible de jouer Racine aujourd’hui. Peut-être, sur scène, ce théâtre est-il aux trois quarts mort. Mais si l’on essaye, il faut le faire sérieusement, il faut aller jusqu’au bout…»
Roland Barthes, Sur Racine
Loin d’être un «peplum» figé dans le temps, Britannicus est une pièce vivante qui nous raconte un monde de luttes et de rivalités mafieuses, d’alliances qui se renversent pour un mot, une promesse, une menace. Ces héros raciniens ont parfois tout du «look» et du comportement de nos gangsters modernes. Britannicus n’est pas une tragédie, c’est une pièce politique à consonance tragique. Ici, obtenir le pouvoir est une question de vie ou de mort, et l’exercer donne droit de vie et de mort.
Néron, jeune homme devenu empereur à la place de son demi-frère Britannicus grâce aux intrigues de sa mère Agrippine, décide d’enlever Junie, possible prétendante au trône et danger virtuel. Il en tombe amoureux . Mais Junie est promise à Britannicus : les frères rivaux pour le trône deviennent également rivaux en amour. Néron, conseillé par Narcisse, balaiera par le crime et la manipulation, tous ceux qui contrarieront ses désirs et Britannicus sera le premier d’une longue liste...
«Vous allumez un feu qui ne pourra s’éteindre.
Craint de tout l’univers, il vous faudra tout craindre,
Toujours punir, toujours trembler dans vos projets,
Et pour vos ennemis compter tous vos sujets.»
Burrhus à Néron, acte IV, scène 3
Pourquoi monter B. aujourd’hui ?
Ce spectacle est un défi pour plusieurs raisons . D’abord, la tragédie tient une place à part dans mon parcours : j’ai monté Phèdre trois fois de suite entre 1972 et 1974 . A chaque reprise, la même passion, la même curiosité m’animaient : aller plus loin, au plus près d’une sincérité que semble contrarier la forme tragique, se débarrasser du « respect », du poids de la tradition avec lequel on aborde la tragédie classique. A la troisième reprise, nous sommes allés si loin dans l’appropriation, cet univers nous semblait si familier que l’oeuvre a soudainement montré sa face cachée : une forme de dérision, de cynisme, qui emportait un rire d’adhésion. Le public riait, la tragédie se jouait, et quelque chose de très violent surgissait de cette alliance : une puissante vérité. Depuis Phèdre, je n’ai plus mis en scène de tragédie classique. Trente ans après, avec le recul et l’expérience, j’ai eu envie de reprendre cette recherche de la sincérité que j’avais entreprise jeune homme en l’appuyant, alors, de quelques provocations contre «le théâtre établi». Il s’agit, aujourd’hui, de manipuler le cynisme et tout ce qui résiste aux clichés tragiques face au rythme du vers racinien et forcer une écoute trop polie. Voilà pour l’aspect personnel du défi.
D’autre part, la tragédie est relativement rare dans le paysage théâtral d’aujourd’hui. C’est une gageure excitante de séduire un public, et notamment un public jeune, avec Britannicus : comment faire passer aujourd’hui ce discours ? Qu’a-t-il de profondément actuel dans les thèmes qu’il aborde ? Comment casser la forme pour mieux la retrouver, pour la nourrir de sens et de sincérité ? Comment mettre en lumière la violence des relations débarrassées de la rigidité, de l’artifice apparent ? Je voudrais parvenir à répondre à ces interrogations naturellement, simplement, avec une sorte d’évidence qui découlerait de notre travail de compréhension du texte. En somme, je suis tout aussi intéressé ici par le chemin que par le but. Le travail que représente l’approche de cette tragédie est véritablement un défi passionnant : travail de recherche et de maturation avec les comédiens, travail visuel avec le décorateur et la costumière pour créer l’univers le plus juste possible, c’est-à-dire, comme l’avait voulu Racine, plus proche du temps des spectateurs que de celui des personnages. (On évitera donc l’aspect «peplum »).
Quels sont les thèmes prédominants que vous évoquez ?
Britannicus est plus une pièce politique à consonance tragique qu’une vraie tragédie. Il y a bien sûr, comme toujours chez Racine, la passion ravageuse et dévastatrice. Mais ici l’amour n’est pas le centre des préoccupations, ni des pulsions. S’il y a passion chez Agrippine, c’est celle du pouvoir et non celle que l’on peut ressentir pour un autre être.
Agrippine n’aime pas son fils mais le considère comme le sexe masculin, greffé, qui lui fait défaut pour régner. La folie hystérique pour obtenir les marques du pouvoir témoigne d’une perte de lucidité symptomatique d’un état passionnel ; la pièce tourne autour d’une érotisation du pouvoir qui devient l’objet amoureux disputé.
Britannicus présente trois niveaux de lecture :
- sur le plan psychologique, elle fascine par sa galerie de monstres : ici, pas de «laissés pour compte» de l’intrigue, pas de confidents falots : les rôles qui pourraient être «secondaires» (Burrhus ou Narcisse, les «confidents» des héros) sont les véritables manipulateurs, tous sont possédés par la même obsessionnelle quête du pouvoir. Les personnages portent les constantes de l’écriture de Racine : une part d’ombre, une irrévocable disgrâce. Le regard janséniste de Racine n’épargne personne : il n’est donc pas question pour nous de les « sauver » ou de s’apitoyer sur eux.
- sur un plan sociologique, la pièce propose un monde de luttes et de rivalités mafieuses, un monde de corruption et de cruauté qu’il m’intéresse de restituer. Je le rapprocherais volontiers de l’atmosphère décadente voire déliquescente des Cours des empires de la fin du XIXème, où les influences et les traîtrises se tramaient entre deux fêtes. En terme de tension tragique, l’atmosphère pourrait bien rappeler, plus proches de nous, les grands westerns ou les grands films noirs qui ont souvent d’ailleurs les mêmes caractéristiques dramaturgiques (les trois unités, inéluctabilité de l’intrigue).
- enfin, et essentiellement, Britannicus offre une réflexion profonde, d’ordre moral et philosophique, sur l’exercice, le désir et l’accaparement du pouvoir : ce qui est fascinant c’est que c’est une quête du pouvoir pour le pouvoir, il n’y a pas de contenu. Cette quête est une question de vie ou de mort, c’est tout.
Comment traitez-vous la versification, la diction des alexandrins, l’ensemble de la forme ?
La forme des alexandrins est lourde, c’est une contrainte permanente à faire exploser pour retrouver le trésor de cette langue. L’art de casser la noix de coco, sans perdre une goutte du lait ! Je ne suis pas convaincu que la diction tragique emphatique soit encore intéressante et je reprends à mon compte les interrogations de Dullin à propos d’une «déclamation lyrique de la tragédie dont le secret serait perdu.» «Existait-il vraiment un secret ?» se demande-t-il, puis il continue, «la convention de cette déclamation était-elle différente et meilleure que celle qui choque aujourd’hui notre oreille, habituée par la poésie moderne à des nuances plus subtiles ?».
Il s’agit de retrouver une proximité. La logique ici est d’aller au bout de la pièce mais sans provocation gratuite : il faut juste accepter de «passer la zone dangereuse», dire ce quelque chose d’original qui est dans le texte, trouver la modernité et retrouver la simplicité qui est l’expression la plus pure de la vérité de chaque personnage. Pour cela, il m’a paru essentiel de prendre des acteurs jeunes, qui aient l’âge et l’énergie des rôles. La jeunesse de la troupe fait reculer les inhibitions, et les barrières à briser sont nombreuses ! Avec, toujours, une exigence voire une obsession : rester à l’affût du sens.
Régis Santon
J'ai étudié avec les élèves certains passages de Britannicus, je m'apprète à les emmener dans un petit théâtre de province, début janvier : vous m'effrayez, moi qui m'acharne en cours à leur faire respecter l'alexandrin ! j'ai peur de rater l'objectif : donner le goût du théâtre.
Ce n'est pas parce qu'on veut être moderne (comme le dit M Santon dans sa note d'intention), qu'il faut transposer l'action dans un autre temps : dans cette mise en scène, c'est totalement gratuit. Et détruire les vers sous prétexte de ne pas vouloir être emphatique, c'est honteux. Il ya tout de même un juste milieu. Si votre but était de réconcilier le public avec la tragédie, c'est râté ! Heureusement que nous avons un autre Britannicus au cours de l'année 2003, qui lui était sublimissime : les objectifs étaient à peu prêt les même que ceux de M Santon, mais ils étaient atteints.
J'ai étudié avec les élèves certains passages de Britannicus, je m'apprète à les emmener dans un petit théâtre de province, début janvier : vous m'effrayez, moi qui m'acharne en cours à leur faire respecter l'alexandrin ! j'ai peur de rater l'objectif : donner le goût du théâtre.
Ce n'est pas parce qu'on veut être moderne (comme le dit M Santon dans sa note d'intention), qu'il faut transposer l'action dans un autre temps : dans cette mise en scène, c'est totalement gratuit. Et détruire les vers sous prétexte de ne pas vouloir être emphatique, c'est honteux. Il ya tout de même un juste milieu. Si votre but était de réconcilier le public avec la tragédie, c'est râté ! Heureusement que nous avons un autre Britannicus au cours de l'année 2003, qui lui était sublimissime : les objectifs étaient à peu prêt les même que ceux de M Santon, mais ils étaient atteints.
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