Mettre en scène
Racine à la fin du XXème siècle
La pensée du monstre
Britannicus
Ce quen pense la presse
Mettre en scène Racine à la fin du XXème siècle
Ce théâtre des passions interdites, inavouables, monstrueuses, ce théâtre du désir, de la souffrance et de la mise à nu des âmes à lévidence nous touche encore aujourdhui.
Non pas que nous nous confondions avec les héros raciniens ou avec leurs modèles antiques : trois siècles nous séparent du temps de lécriture du poète et deux millénaires de lantiquité romaine dont il sest inspiré pour Britannicus et cest justement cette double distance et létrangeté qui en résulte quil est intéressant de mettre en scène afin douvrir le spectacle sur une (re)connaissance et une proximité.
Le Néron de Racine, sil nous apparaît avide de pouvoir, de jouissance, est encore timide dans lexpression de ses désirs, il nest quun monstre naissant très éloigné dela connaissance quon a de lui à travers lHistoire romaine : on le voit sur le théâtre dans une dépendance infantile envers sa mère Agrippine dont il cherche à saffranchire ; on le voit interdit devant la pureté inaccessible de Junie ; on le voit subir les influences contraires de Burrhus et de Narcisse, hésitant à choisir entre les possibles qui soffrent à lui : gloire ou plaisir , vertu ou crime ; on le voit retarder lissus fatale que le public, qui en sait plus que lui, connaît lHistoire : bien sûr il tuera Britannicus.
Mais il y a aussi la puissance de la construction de lintrigue, de cette formidable machine à produire de laction et le public se surprend à croire dans lacte IV (lacte où la réversibilité fonctionne à plein) à sa conversion définitive à la vertu, à croire quil échappera à son destin, quil ne rejoindra pas son mythe.
Il y a là non seulement cette suspension qui fait tout le plaisir du spectateur daujourdhui, mais une distance, presque une distanciation qui lincite à la réflexion critique sur les questions de lamour, du pouvoir, du désir de meurtre, autant dénigmes que la pièce ne résoud pas.
Alain Bézu
Javoue que je ne métais pas formé lidée dun bon homme en la personne de Néron. Je lai toujours regardé comme un monstre. Mais cest ici un monstre naissant. Il na pas encore mis le feu à Rome. Il na pas tué sa mère, sa femme, ses gourverneurs. A cela près, il me semble quil lui échappe assez de cruautés pour empêcher que personne ne le méconnaisse. Jean Racine
Quest-ce-quun monstre naissant? Ni plus ni moins quun homme. Néron est un homme qui découvre le monstre qui naît en lui. Là est le génie de Racine: de ne pas avoir fait de Néron labsolument autre, celui que sa monstruosité exclurait de lhumanité, nous le rendanr définitivement étranger, suscitant tout au plus en nous de la répulsion. Cela ne fearit pas une uvre qui nous touche de cette tragédie dont le centre est le sujet-la conscience agissante-sont bel et bien Néron, aux prises avec le plus humain des liens (le lien avec la mère). Ce sont les détours de sa pensée, ses tergiversations (lincroyable acte IV!), son recul devant le Mal avant que, sous la pression de Narcisse, il ny cède, qui constituent le mouvement de fond de la pièce. Il ny a pas de fatalité du crime dans Britannicus, celle-ci est constamment réversible, jusquà ce que, bien sûr, lirréparable soit commis, qui laisse Néron démuni, vide, réveillé peut-être,privé de lobjet Junie- pour lequel, plus que le pouvoir (mais tout ceci est lié, le politique et laffectif inextricablement tressées), il la accompli. Ce Néron-là, cest le récit dAlbine qui nous le montre, récit qui clôt et englobe la pièce, comme Albine contient en cet instant Néron, qui porte en lui limage de Junie, qui porte en elle Britannicus mort. Humanité dans laquelle se fond la singularité monstrueuse de Néron et que la pièce nous implore de regarder enface, humanité et monstruosité elles aussi inextricablement tressées. Demandons-nous alors: et si nous ignorions la suite de lhistoire (ou plutôt de lHistoire)? Nous pourrions entendre ce que disent, après ce récit, les deux dernières répliques de la pièce (Agrippine: Voyons quels changements produiront ces remords): la résistible montée de Néron vers le crime.
Joseph Danan
Jusquà maintenant soumis à lautorité de sa mère, Agrippine, le jeune empereur Néron tend à sémanciper. En pleine nuit, il fait enlever Junie, la fiancée de son demi-frère Britannicus, et, condanne sa porte à Agrippine.
Agrippine songe à sapuyer sur Britannicus, qui est lhéritier légitime de lEmpire, pour ramener Néron à lobéissance. Mais celui-ci, tombé amoureux de Junie, ne se laisse arrêter quun instant par les conseils des uns ou les supplications des autres. Il fait arrêter Britannicus, garder à vue sa mère. Un instant encore, il hésite au bord du crime
Dans un décor dépouillé à lextrème où la lumière joue sur cette alternance de clair obscur avec une violence qui na dégale que la limpidité aveuglante de la passion des sentiments, les entrées et sorties des acteurs sarticulent comme par magie. Point de maniérisme ni de redondances : la mise en scène est dune précision et dune concision draconienne, sarticulant sur la seule force du verbe et non sur des effets qui viendrait nuire à sa limpidité, laissant la tragédie dérouler son tapis dintrigues. Ajoutons au plaisir que procure ce Bricannicus des costumes dune sobre élégance pour (re)découvrir une pièce dune acuité moderne. Lhumanité, Zoé Lin, Janvier 2000
Que la bouche et le cur sont de peu dintelligence ( ). Cette remarque renferme toute lintrigue, et le plus grand mérite des comédiens consiste à en réconcilier les termes. LExpress, Fabienne Arvers, Février 2000
« ( ) Alain Bézu sintéresse à ce jeune Néron, à ce monstre naissant dont parle le poète. Il sappuie sur des comédiens très tendres dâge, comme le sont les personnages de Racine et cette décision claire donne à sa mise en scène lévidence de la proximité. ( ) Cest un bon spectacle, dabord respectueux de la langue et de ses subtilités et ce travail-là donne son homogénéité à la troupe. On entend donc très bien la pièce et chaque rôle est tenu rigoureusement. ( ) Alain Bézu ne révolutionne en rien la manière daborder Racine. Mais il y a dans ce travail dune grande probité et dune vraie intelligence quelque chose qui accomplit, pour aujourdhui, tous les possibles de la pièce. Les jeunes en particulier le comprennent. Racine est proche. » Le Quotidien du médecin, Janvier 2000
« Jai vu Britannicus au TEP (Théâtre de lest parisien, direction Guy Rétoré), dans une mise en scène dAlain Bézu. Aucune extravagance de mise en scène, aucune réactualisation provocatrice, pas de paires de seins qui traversent lespace freudien à mobylette. Juste de lintelligence. Cest sobre, cest beau. Le metteur en scène respecte le texte, et donc les comédiens le respectent aussi ; et donc çà marche, et nous aussi on marche ». Jacques Bertin, Politis, Janvier 2000
Néron (Vincent Berger) lenfant tyran qui signore, parfois, et qui
naît pris entre Burrhus et Narcisse, séveille à lamour, à la jalousie, à
la cruauté, à une vie libérée de lemprise dune mère (Catherine Dewitt en
Agrippine) qui lui transmet toute lhorreur des crimes quelle a commis pour
lui, tout son instinct violent de domination.
Une vie mise en scène par Alain Bézu, sobre, dépouillée, en ombres grises, lieu des
tourments et du mensonge, théâtre du présent où les acteurs doivent se courber par une
porte-guillotine, inéluctable et menaçant couperet. Ils semblent encore plus grands mais
dune majesté illusoire et presque fate. Lumière aveuglante où la vérité surgit,
aussi crue soit-elle, où les forces en présence sexpriment clairement,
saffrontent de tout leur puissance, sans louvoiement
LActualité,
Claudia Montanari, Janvier 2000
« Faut-il parler de la pièce de Racine « Britannicus » comme dun texte ancien et démodé ? Faut-il au contraire, y entendre des accents très contemporains sur ces abus de pouvoir qui conduisent nos sociétés à la dictature et au fascisme ? Le directeur du « Théâtre des 2 Rives » de Rouen, Alain Bézu, laisse la question ouverte. Sa mise en scène dune magistrale sobriété et dune éclatante beauté interroge, pourtant, chaque spectateur au cur de lémotion. Sur la tyrannie du jeune Néron jusqualors maîtrisée par sa mère Agrippine et qui va exploser en coulisses, sur ces pulsions de mort à lencontre de Britannicus contrariées par la pureté fascinante de la belle Junie Entre douceur et violence, amour et haine, pardon et crime, lHistoire a tranché mais le vers racinien est là pour nous rappeler que les retours à la tyrannie sociale ou politique sont toujours dune brûlante actualité. Avec Vincent Berger, dans le rôle titre, dune superbe présence. » La Vie ouvrière, Y.L, Janvier 2000
place Aubry 02000 Laon