Editorial
La compagnie Trazom
Extrait du livret
Note de mise en scène
Pour sa troisième production (après Don Giovanni et Dido and Aeneas, 72 représentations en tout et plus de 4500 spectateurs) la Compagnie Trazom monte l’opéra « Carmen » de Georges Bizet pour l’été 2001 au Théâtre du Tambour Royal, accompagné au piano, sans chœurs ; 40 représentations sont prévues. Deux distributions alterneront dans huit rôles. Les parties solistes seront chantées intégralement ; la version choisie est celle avec les textes intercalés. L’interprète du rôle du Dancaïre chantera également les rôles confondus de Moralès et de Zuniga, tandis que Le Remendado chantera également la partie de ténor (en gendarme) dans l’acte I. Dans ce même acte, les deux interprètes de Frasquita et Mercedes plus tard, joueront les cigarières (chœurs : « La cloche a sonné » et « Au secours, messieurs les soldats »).
La Compagnie Trazom, dont la forme juridique est celle d’une association loi 1901, continue donc son propos, lequel est d’offrir les grands rôles du répertoire à de jeunes chanteurs talentueux, combatifs et passionnés (certains sont lauréats de concours internationaux et ont déjà interprété des premiers plans, d’autres à l’orée de leur carrière, tous désireux d’aborder ou de perfectionner un rôle grâce aux nombreuses représentations) et poursuit donc sa collaboration avec le Théâtre du Tambour Royal. La direction de cette petite mais chaleureuse salle de spectacle (120 places) entièrement privée coproduit cet ouvrage avec notre toute jeune compagnie.
Au-delà de « l’Espagne à la française » incomprise lors de sa création, nous abordons Carmen avec la passion du chant et de la liberté prônée par son héroïne, laquelle nous sera un modèle de volonté calme, de séduisante ténacité et d’inflexible désir de vivre heureusement notre art.
Elle a fait rêver bien des coeurs et couler beaucoup d'encre, Carmen ou la Carmencita, la belle gitane, la séduisante et ardente cigarière de Séville, sans cesse célébrant l'amour et la liberté, héroïne mythique au destin tragique. Contentons-nous de l'écouter dire et chanter, à travers et au-delà des fameux airs de la Habanera ( " l'amour est un oiseau rebelle " ) et de la Séguedille ( " près des remparts de Séville " ) :
L'amour ! L'amour ! L'amour !
L'amour est enfant de bohème
Il n'a jamais, jamais connu de loi,
Si tu ne m'aimes pas, je t'aime
Si je t'aime, prends garde à toi
Tralalalalala
Coupe-moi, brûle-moi, je ne te dirai rien
Tralalalalala
Je brave tout, le feu, le fer et le ciel même
Je ne te parle pas, je chante
Je chante pour moi-même
Et vive la musique
Qui nous tombe du ciel
Oui, mais toute seule on s'ennuie
Et les vrais plaisirs sont à deux
Donc pour me tenir compagnie
J'emmènerai mon amoureux
Qui veut m'aimer ? Je l'aimerai
Quand tu verras
Comme c'est beau, la vie errante
Pour pays, l'univers
Pour loi, sa volonté
Et surtout la chose enivrante
La liberté ! La liberté !
Tu demandes l'impossible
Carmen jamais n'a menti
Son âme reste inflexible
Entre elle et toi, tout est fini
Jamais je n'ai menti
Entre nous, tout est fini
Jamais Carmen ne cédera
Libre, elle est née, libre, elle mourra !
A notre idée, Carmen, dont le rôle, et la personnalité donc, sont si bien cernés par la composition acérée de Bizet, n’a besoin d’aucun artifice, ni vocal, ni vestimentaire, ni d’attitude. Elle est, par sa seule présence, par sa seule existence, par son reflet dans nos yeux ébahis, admiratifs et envieux. Sa beauté et sa séduction tiennent bien moins à sa féminité qu’à l’inimitable et incompréhensible aura de liberté que son être irradie. Il est vrai qu’enchaînée, elle joue à séduire, mais elle a a priori un homme fort face à elle et on devine qu’elle tient surtout à conserver sa liberté, et tant mieux si le viril et séduisant nigaud (les hommes le sont tous à ce moment-là !), potentiel adepte de la liberté, se laisse embarquer en plus.
Tout nous semble écrit dans la musique incroyablement riche et précise, malgré les apparences parfois de « folklore », que Bizet a très exactement mise sur chacun de ses mots, ces mots qui disent sans jamais mentir, sans jamais être faux ce qu’elle est et qui elle est. Et c’est cette franchise si absolue qui est incompréhensible à Don José, dont le vocabulaire et l’expression sont empreints d’une éducation, d’une rigueur, d’un sens de l’honneur inculqués et non librement acquis (sa « trahison », la défection de son poste de soldat sont la preuve d’un penchant à la « dissolution » qui se révèle au contact de Carmen, mais aussi d’un risque considérable de sa part) et dont la pensée donc, ne peut ni appréhender ni concevoir cette fameuse « liberté », alors qu’elle lui est offerte à bras ouverts. La liberté (toute relative, mais c’est déjà pas mal), comme pour la majorité des humains et légitimement, lui fait peur ; et comme il finit par confondre son amour pour Carmen avec la gratitude confuse mais inacceptable que tout être a pour celui ou celle (dont le but, volontaire ou non, est que l‘« homme nouveau » vole de ses propres ailes) qui le révèle, il agit, également comme tout le monde, à nouveau prisonnier de lui-même : il détruit ce qu’il ne comprend pas, il dissout la réflexion entraperçue, insupportable et honnie de lui-même, de l’homme assujetti à ses sens, au lieu d’accepter cette évidence et de l’utiliser « constructivement ».
Pour tirer profit au maximum de l’étroitesse du plateau, nous tenterons l’illusion d’en agrandir l’espace en circonscrivant chaque scène par un éclairage précis et un jeu mesuré ; les personnalités se découvriront et s’établiront par une diction parfaite, garante de la compréhension intégrée du texte dit (et donc de toutes les facettes du personnage) et de la libération de la technique vocale, et par une expression lyrique enrichie par le peu de gestes (mais authentiques) à accomplir.
Carmen bougera peu, mais très exactement, car elle sait qu’elle attire, qu’elle est le miroir, le pivot, le rêve désiré (la Habanera illustra d’entrée de jeu cette conception) ; presque austère d’apparence. Mais ses mots, son humour et sa voix illumineront.
Don José oscillera entre la rigueur de son caractère idéaliste et la folie déclenchée par la découverte de lui-même et de ses pulsions. Michaëla, a priori en totale opposition a Carmen à tous points de vue, laissera néanmoins apparaître une force et une volonté, sinon équivalente à sa rivale, du moins fortement motivée par le désir charnel que lui inspire Don José.
Le quatuor des compagnons de Carmen aura, à l’image de leur « égérie », une espèce de nonchalance assurée ; s’ils n’ont pas son envergure psychologique (tout le monde ne peut pas être Carmen !) ils possèdent comme elle un appétit suffisant de la liberté et de la bohême pour accepter avec élégance les revers de fortune. Le parti pris de leur attitude et de leurs costumes bigarrés montrera une bande de jeunes dandys désargentés, sapés comme d’ex-princes.
Le toréador, comme d’hab, fera son fier (mais il a de quoi et on ne peut pas sous-estimer les risques qu’il prend dans l’arène) mais pas son prétentieux, car il n’a nul besoin de l’être ; les mots qu’il emploie dénotent certes l’extrême assurance de son mental, mais aussi l’humour, la générosité et l’acceptation du sort, signes de grande liberté (et non de résignation, cf. son métier), ce qui en fait en fin de compte l’homme idéal pour Carmen. Et elle ne s’y trompe pas ; qui sait si, au fond, elle ne se suicide pas en s’offrant avec tant d’acharnement à la fureur et au couteau de Don José (tel Don Giovanni, réalisant la vanité de sa quête de liberté absolue, se donne en pâture au Commandeur) plutôt que de perdre sa liberté dans un amour passionné avec Escamillo…
Cette représentation est un régal. La pianiste est simplement prodigieuse et les chanteurs d'excellents comédiens (ce qui est rare pour un opéra). La mise en scène est dynamique, les décors astucieux et pleins de petite idées géniales (comme cette ombre chinoise de danseuse à l'éventail figée d'un trait de pinceau rouge tenu par la carmencita). Si on parfois peut souffrir de l'exiguité de la salle face à l'ampleur du son, on se régalera en revanche de la proximité avec les chanteurs. Chanteurs qui sont beaux, radieux et respirant la complicité d'un opéra dont on sent qu'il est monté par une véritable troupe Bravo, bravo et Merci Emmannuel Maistre
Cette représentation est un régal. La pianiste est simplement prodigieuse et les chanteurs d'excellents comédiens (ce qui est rare pour un opéra). La mise en scène est dynamique, les décors astucieux et pleins de petite idées géniales (comme cette ombre chinoise de danseuse à l'éventail figée d'un trait de pinceau rouge tenu par la carmencita). Si on parfois peut souffrir de l'exiguité de la salle face à l'ampleur du son, on se régalera en revanche de la proximité avec les chanteurs. Chanteurs qui sont beaux, radieux et respirant la complicité d'un opéra dont on sent qu'il est monté par une véritable troupe Bravo, bravo et Merci Emmannuel Maistre
94, rue du Faubourg du Temple 75011 Paris