Les spectateurs sont allongés sur la scène. Dans les airs, suspendus, les corps de deux danseurs incarnent Castor et Pollux, les jumeaux mythiques. Ils dessinent les mouvements d’une humanité ancienne au-dessus de nos têtes, comme une vision verticale et inquiétante.
(...) que celui convié à venir (celui qu’on hésite presque à nommer spectateur tant le mot semble usé), il serait bien sûr idéal qu’il participe vraiment à l’expérience, " qu’il soit " sur la scène, aussi présentement que la lumière fut, autrefois, sur le Livre. D’ailleurs, il l’est, sur la scène, dans la pièce de François Chaignaud et Cecilia Bengolea : c’est même lui, le spectateur, le seul qui occupe le plateau, puisque nous voilà allongés sur le sol tandis que la scène, elle, s’est en quelque sorte évaporée, devenue émanation, hologramme aussi à sa manière, à ceci près que la suspension des corps ici n’est pas du tout virtuelle : au-dessus de nous, suspendus dans les airs, se tiennent, de tout leur poids en quelque sorte, les corps de deux danseurs, deux figures archaïques qui sont aussi, comme le titre l’indique, les jumeaux guerriers de l’épopée homérique. Alors, aussi vrai qu’ils sont des héros épiques, ils ont forcément leurs filandières, leurs Moires en quelque sorte qui calculent leur destin : s’engage donc un terrible jeu de pesanteur et d’arrachement, une sorte d’équilibre menée non plus à deux mais à six : deux danseurs dans les airs, certes, mais aussi quatre machinistes ou plutôt marionnettistes qui, tenant les ficelles, mesurent, surprennent, écoutent le poids de ces corps, la tension de leur mouvement et la menace de leur chute. Dans cet espace contraint, il reste à dessiner les hologrammes mythologiques qui planent au-dessus de nos têtes, fantômes d’une humanité primitive qui ne s’effacerait jamais tout entière, et qui même continuerait d’errer à travers les âges : voilà pourquoi ça continue toujours, le théâtre et tout le reste, (...).
Avec le Festival d'Automne à Paris.
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